« DE LA REVENDICATION DU MARIAGE A CELLE DES DROITS PROPRES : LA RECHERCHE D’AUTONOMIE » Deuxième partie

vendredi 25 janvier 2013
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Intervention de Jocelyne Fildard à l’ATELIER CITOYENNETE DU 28 SEPTEMBRE 2012 à la Maison des Femmes de Paris

Le mariage, ce qu’il est et ce qu’il n’est pas.

L’actualité nous parle beaucoup de l’accès au mariage pour toutes ou tous, autrement dit d’ouvrir le droit au mariage aux lesbiennes et aux gays.

Bien sûr, nous pouvons considérer cette revendication comme légitime dans le sens où toutes les citoyennes tous les citoyens doivent avoir accès aux mêmes choix.

Et il faut probablement entendre dans cette revendication, lorsqu’elle est rationnellement posée, celle de l’accès à la parentalité, à la protection sociale dont ne bénéficient pas les célibataires, puis à la facilitation de la transmission du patrimoine.

Mais on y entend aussi probablement un désir de normalisation et une confusion dans la finalité du mariage Tout d’abord, qu’est-ce que le mariage ou qu’est-ce qu’il n’est pas ?

Le mariage civil, c’est à dire prononcé à la mairie est une formalité administrative enrichie d’une proclamation de droits et de devoirs, il se présente comme un contrat régit par des articles de lois.

  • Il fixe le devoir de respect, fidélité, secours, assistance entre conjoints, les obligations morales, matérielles concernant la famille puisque cette reconnaissance de l’union de deux personnes est faite en vue de fonder une famille et d’avoir des enfants,
  • Il définit les devoirs des parents face à l’éducation des enfants issus du mariage,
  • Sous le couvert de l’autorité parentale partagée, il définit l’obligation d’apporter tous les éléments nécessaire au bien-être des enfants nés de cette union et d’ assurer leur avenir,
  •  Le mariage impose la contribution des époux aux charges de la famille en proportion de leurs facultés respectives et oblige à une communauté de vie.

Donc, on le voit le but du mariage, tel qu’il est énoncé dans les textes législatifs, est de fournir essentiellement un cadre juridique pour assurer une sécurité et une stabilité à la famille.
 
Et contrairement à ce que certain-e-s prétendent :

  • Le mariage civil n’est pas :"on s’aime, alors on se marie", mais le début d’un engagement pour construire quelque chose, en l’occurrence une famille.
  • Le mariage civil n’est pas porteur de symbole. Il n’a pas vocation à représenter une reconnaissance publique et collective de sentiments entre deux personnes, ce n’est pas un rituel destiné à reconnaître et à célébrer un couple. D’ailleurs pourquoi un couple aurait il besoin de l’intervention de l’Etat pour sceller une relation amoureuse ? Les symboles pour montrer nos engagements affectifs relèvent de notre vie privée, ne sont pas réglementés et ne concernent pas l’État.

Vous l’avez compris, le mariage est un engagement purement matériel, mais en aucun cas, contrairement à ce que peuvent soutenir certain-e-s, il n’est lié à un engagement amoureux. Aujourd’hui encore, on rencontre des mariages d’intérêt, de raison ou plus douloureusement des mariages forcés qui se font sans amour et sans sentiments.
 
Le mariage est donc un contrat civil, pas un engagement affectif.

 

Panorama des contrats de conjugalité dans notre pays

Actuellement, on se trouve devant un sacré paradoxe, l’institution du mariage qui a perdu de son aura est désinvestie par les hétéros mais revendiquée par les homos et le Pacs, qui avait été demandé par les homos, devient le fait des hétéros. Nous connaissons le niveau de mariage le plus bas depuis 1945 et en 2011 : 44,7% des mariages se terminent par une divorce (en 2006, c’était 30% soit environ 1 mariage sur 3, aujourd’hui, c’est presque 1 mariage sur 2).

Les hétéros qui veulent un contrat de conjugalité vont de plus en plus vers le pacs, en 2009 sur 203 822 signés 95% sont des pacs hétéros ; (le taux de rupture serait un peu identique à celui du mariage).

Ceci dit, on peut bien évidemment comprendre la revendication du mariage par le mouvement homosexuel si en fait une comparaison avec le pacs, des droits sont identiques mais pas tous, comme par exemple :

  •  Il n’ y a pas dans le pacs d’obligation de solidarité en matière de dettes,
  • Un couple pacsé ne peut pas adopter en tant que couple,
  • Un partenaire pacs étranger n’obtient pas automatiquement une carte de séjour. Dans le cas où il obtient le droits de séjour ou pour avoir accès à la nationalité française, il devra attendre 5 années de pacs contre 4 années pour le mariage,
  •  Et pour bénéficier de droits de succession identiques aux mariés, les pacsés doivent obligatoirement rédiger un testament,
  •  Le Pacs ne fixe pas d’obligations alimentaires entres partenaires ascendants ou descendants.

Seuls avantages le pacs se rompt facilement sans frais coûteux.

Se marier garantit-il une véritable égalité et justice entre tous et toutes les citoyennes et citoyens : que se soit au sein du couple et dans une vue plus globale, universelle, dans l’ensemble des membres de la société ?

Examinons la notion de droits sociaux au sein du couple, c’est-à-dire la protection sociale

Un peu d’histoire :

Les droits sociaux, institués par la loi de 1945 créant le régime général de la sécurité sociale, reposent à l’origine sur un système familialiste et nataliste.

Dans une famille, il y avait un gagne pain, généralement l’homme, le chef de famille qui versait une cotisations sociale, puis la femme qui assurait les tâches domestiques et les charges d’enfants. Femmes et enfants dépendaient en matière de protection sociale des cotisations du gagne-pain. Enfin, dans ce modèle, l’Etat intervenait par le biais de l’aide sociale pour couvrir les frais de maternité et d’autres charges de santé.

Donc, le gagne pain, était le bénéficiaire direct des droits et les autres personnes de la famille disposaient de droits indirects dits « droits dérivés », ils étaient les « ayants-droit » de l’homme, chef de famille.

Vous voyez ici, les caractéristiques de la famille patriarcale qui imprégnait les mentalités de la société avec la répartition sexuée des rôles et surtout le refus ou l’absence d’encouragement du travail des femmes à l’extérieur.

La famille était l’unité de base de la société à protéger mais les femmes, considérées comme « ayants-droit » n’étaient pas des citoyennes autonomes à part entière. Elles n’étaient pas sujets de droits mais des « ayants droits », tout cela sous le couvert de la solidarité et le sceau du mariage. Les femmes n’avaient alors que peu de possibilité de demander le divorce car sans travail et sans avoir cotisé elles se retrouvaient dans une situation fortement délicate.

D’ailleurs des juges ne prononçaient pas le divorce pour ces raisons. On se rappelle que les femmes ont dû attendre 1966 pour pouvoir exercer une activité professionnelle sans l’autorisation de leur mari et les pensions alimentaires, compensatoires doivent dater des années 1975. Le RMI, devenu plus tard RSA, n’existait pas.

Évidemment, les choses ont évolué, actuellement les femmes peuvent être aussi les gagne-pain.

La CMU, qui instaurait des droits propres fut une avancée, mais elle ouvre aussi un statut d’ayants-droit pour les conjoint-e-s ou concubin e-s.

On retrouve toujours dans cette histoire de dépendance, une atteinte à l’autonomie qui peut être pour certaines personnes une atteinte à leur dignité !

Aujourd’hui, même s’il y a eu des évolutions, le système de protection ou d’aide sociale repose encore, dans ses bases, sur une logique familialiste.

Un exemple : le cas du RSA

Dans un couple, c’est souvent la femme que cela concerne mais pour se positionner avec une vue universaliste, parlons de la personne la plus fragilisée du couple, celle qui a le plus bas salaire, travaille à temps partiel.

Elle perd son emploi. Si elle a suffisamment travaillé, elle perçoit des allocations chômage puis vient la fin des allocations ou elle n’a plus de droits. Aussi va-t-elle demander le RSA. Que se passe-t-il ?

L’attribution de ce RSA est subordonnée à une condition de ressources. Cette condition de ressources s’entend comme les ressources du foyer, c’est-à-dire du couple et de tous les co-habitants du foyer, donc de la famille. Où est l’autonomie de cette personne ? D’ailleurs cet effet pervers du système familialisé peut inciter à travailler au noir.

Le modèle familialiste crée des discriminations et des dépendances dans le couple mais crée des inégalités entre toutes et tous.

Un exemple : la pension de réversion.

Imaginons, une personne mariée qui n’a jamais travaillé. Au décès de son ou de sa conjoint-e elle perçoit une pension de réversion.

Cette pension est certes plafonnée, mais dans certains cas des personnes qui n’ont jamais travaillé, c’est-à-dire qui n’ont jamais cotisé aux caisses de retraite touchent par ce biais une pension de réversion plus importante que la pension d’une personne qui aura travaillé à temps partiel ou d’une femme qui aura interrompu quelques année sa carrière pour élever ses enfants.

Un autre exemple : le congé parental.

Créé en 1977, il était réservé aux mères et aux pères si la mère ne pouvait en bénéficier. En 1985 il fut ouvert à tout salarié avec des aménagements en 1986 pour en faciliter l’accès dès le premier enfant.

Qu’a-t-on vu ? En 1995, une chute du taux d’activité des femmes, mais pas de chez n’importe quelles mères, chez celle qui avaient un travail peu qualifié, peu rémunéré. Présenté comme le résultat d’un « libre choix », ce dispositif, dans la réalité, discrimine et punit les personnes les moins qualifiées professionnellement car cet arrêt de travail va porter atteinte à leur progression de carrière dans l’entreprise ou les handicaper en cas de recherche d’emploi si elles ne sont pas réintégrées dans l’entreprise d’origine.

La politique familialiste porte atteinte au principe d’égalité entre les hommes et les femmes et portera de même façon atteinte à la personne la plus fragilisée dans une couple du même sexe.

Pour la fiscalité, on se retrouve dans le même registre

Un couple est soumis à une déclaration de revenus commune, c’est ce qu’on appelle le foyer fiscal. Pour calculer l’impôt sur le revenu, l’un des paramètres qui rentre en ligne de compte est le quotient conjugal pour le couple (quotient familial lorsqu’il y a des enfants) calculé en nombre de parts. Pour un couple, les parents représentent chacun une part, les deux premiers enfants comptent pour une demi part chacun et les enfants suivants pour une part entière.

Prenons le cas d’un couple avec un salaire de 20000 Euros pour l’un et de 10 000 Euros pour l’autre.

Le revenu du couple est donc de 30 000 Euros. Ces 30 000 Euros sont divisés par 2 puisque ce couple sans enfants bénéficie de 2 parts pour établir la base d’imposition qui est donc de 15 000 Euros pour le couple. A cette base s’applique le taux d’imposition de 20% (schématiquement et par simplification).

Ce qui veut dire que le plus petit salaire est pénalisé doublement : imposé séparément le haut salaire le serait à un taux plus élevé en raison de la progressivité de l’impôt par paliers et sur une base de 20 000 Euros ; le plus petit le serait à un taux plus faible et sur une base de 10 000 Euros seulement.

Ce mécanisme constitue un frein pour l’accès à l’emploi des personnes les moins qualifiées dans le couple, ce que le Conseil des prélèvements obligatoires reconnaît d’ailleurs.

Lorsque la Suède, dans les années 1970, est passée d’une imposition conjointe à une imposition séparée, le taux d’emploi des femmes a progressé, favorisant ainsi leur indépendance économique.

Allons un peu plus loin dans la démonstration avec le cas d’un couple dont la femme travaille à temps partiel pour une rémunération correspondant à un demi SMIC. Un enfant arrive. Le couple fait ses calculs. Il additionne, les frais de nourrice, la part d’impôts induite par le revenu le plus faible, les frais de transports pour aller au travail. Il compare cette somme avec ce que lui apporterait la prestation d’accueil des jeunes enfants (PAJE http://vosdroits.service-public.fr/F13218.xhtml ). Il en déduit mathématiquement que ça ne vaut pas la peine que la femme aille travailler. Elle restera donc à la maison pour assurer elle-même la garde de l’enfant.

Mais par la suite, que ce soit dans l’accès au marché du travail ou pour la retraite qui sera pénalisé ? Où est l’indépendance financière ?

D’où la conclusion, que pour plus d’égalité, dans notre société, que ce soit au sein des couples ou plus globalement entre toutes les citoyennes et les citoyens nous devrions passer, bien sûr progressivement et avec beaucoup d’attention et de précaution pour que nulles ne soient défavorisées, d’une notion de dépendance ou d’interdépendance à une notion d’autonomie de chaque personne.

Celle-ci ne peut être garantie que par la généralisation des droits propres considérés comme droits fondamentaux de la personne.
La revendication du mariage ne va pas dans ce sens puisqu’elle cautionne le système familialiste des droits .

Jocelyne Fildard. Co-présidente de CQFD Fierté Lesbienne.


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