Texte B7

vendredi 2 mars 2012
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LETTRE AU MOUVEMENT FEMINISTE

Des lesbiennes féministes radicales de l’ex-collectif de Questions Féministes, mars 1981

Le collectif de rédaction de Questions féministes s’est dissout le 24 octobre dernier, de même que l’association 1901 qui lui était liée. En conséquence la revue a cessé de paraître ; son dernier numéro aura été le numéro 8 (mai 1980). L’ex-collectif de Questions féministes s’est scindé en deux parties, qui ont des interprétations divergentes du conflit politique qui les a opposées. Il est tout à fait regrettable que ces divergences n’aient pu être exprimées dans un dernier numéro de Q.F., que nous aurions pu faire toutes ensemble, car les lectrices auraient pu voir développés clairement les termes et les enjeux du conflit. A la place de ce numéro-explication, circulent des rumeurs, se constituent des caricatures, se pratiquent des exclusions qui masquent le débat de fond. Récemment, une partie de l’ex-collectif Q.F. a annoncé la publication d’une revue appelée "Nouvelles Questions féministes" .(cf. Revue d’en Face, n° 9-10 "Spécial hommes"). Nous exigeons le retrait de ce titre : parce qu’en octobre, toutes les femmes du collectif s’étaient engagées par écrit les unes vis-à-vis des autres à ne pas réutiliser à l’avenir le titre "questions féministes" pour une revue. En effet les deux parties du collectif continuent à se revendiquer de l’éditorial de Q.F. et de son projet politique. Reprendre ce titre, comme le font celles qui prétendent s’appeler aujourd’hui "Nouvelles Questions féministes", c’est donc se poser comme "seules détentrices" de la "juste ligne" de Q.F.

La rupture au sein de Questions féministes est venue directement d’un débat, ou plutôt d’un conflit politique dans le Mouvement : à savoir la question du lesbianisme et de l’hétérosexualité dans leur rapport à l’engagement féministe. Ce conflit a pris une grande acuité à Paris à partir de mars 80, mais il ne s’y limite pas. La question est posée partout, en province, où existent des groupes et des journaux de lesbiennes, c’est dans les Mouvements des différents pays. .Elle n’est pas nouvelle non plus, elle a existé dès les débuts des mouvements, en France dès 1970, où elle a été résolue par l’étouffement de la tendance "lesbienne politique".

Depuis un an, alors qu’une partie des féministes, (en contradiction avec leurs propres analyses qui posent l’existence de deux classes de sexes antagonistes) choisit une lutte qu’on pourrait appeler « réformiste » par rapport à la classe des hommes, une autre partie tend à pousser jusqu’au bout la logique du féminisme radical et se reconnaît dans une analyse politique lesbienne, qui voit dans la classe des hommes l’ennemi principal. Il s’agit donc d’un problème de stratégie globale dont la question du choix de vie dans un mouvement qui reconnaît le personnel comme politique - a été le révélateur.

Le n° 7 de Questions.Féministes (février 80) avait rouvert le débat lesbianisme/hétérosexualité en publiant deux articles : l’un, de Monique. Wittig ("La pensée straight"), dénonçait l’existence d’une logique hétérosexuelle oppressive pour toutes les femmes. L’autre, d’Emmanuelle. de Lesseps ("Hétérosexualité et féminisme"), posait le problème de l’engagement et y répondait en disant : on peut être féministe et hétérosexuelle (quoique dans la "contradiction"). Le premier article ne parlait nullement des féministes hétérosexuelles ; le second en revanche objectivait les lesbiennes, en affirmant (à leur place) qu’elles n’avaient pas "choisi" leur "sexualité", que leur vie ne constituait donc pas un engagement politique, et en réduisant toute affirmation politique lesbienne à une défense corporatiste d’"intérêts sexuels".

Le 14 mars 1980, lors d’une réunion du Mouvement sur ce numéro de Questions Féministes, une discussion très vive commença. Des lesbiennes qui appartenaient à différents groupes :

1) posèrent que l’hétérosexualité leur paraissait un choix de vie antagoniste de l’engagement féministe et en tout cas dangereux à revendiquer comme terrain de lutte individuel ;
2)s’opposèrent au caractère réducteur d’un discours dominant ramenant l’homosexualité à la fatalité d’une déterminisme psychologique. L’important est qu’une femme homosexuelle a de fait une conduite d’opposition objective à l’oppresseur, même si elle n’en a pas conscience, même si elle se vit comme "agie par ses pulsions", comme "différente", voire "anormale".

Cette prise de parole par des lesbiennes qui faisaient front commun en revendiquant le lesbianisme comme une position politique et non comme une "sexualité" différente survint, après que des conflits aient éclaté sur le terrain des stratégies mises en œuvre dans le Mouvement, en particulier lors de la préparation du 8 mars. Sous le motif de faire front contre Psych et Po qui, en s’appropriant le sigle MLF, avait inscrit dans les faits un antiféminisme par ailleurs déclaré, certaines féministes radicales cherchaient une union avec le courant "Coordination des groupes de femmes" : 9 groupes de quartiers et d’entreprises) qu’elles avaient pourtant combattu pendant des années pour ses ambiguïtés stratégiques. L’alliance contre Psych et Po avec une coordination encore imprégnée d’une certaine logique "marxiste" de la tendance "lutte de classes" (bourgeoisie/prolétariat), semblait à nombre de lesbiennes un danger pour le radicalisme. Lors de la préparation du 8 mars, des slogans subversifs, entre autres contre la famille (institution hétérosexuelle par excellence, furent rejetés, et seule l’expression : lutte contre le "patriarcat " rassembla les suffrages, masquant par son flou des oppositions réelles.

La décision commune pour le 8 mars fut -unité oblige- que chaque groupe défile avec sa propre banderole, en laissant la Coordination prendre la tête. Mais quand elles virent Psych et Po prendre de force la tête du défilé sans que la Coordination intervienne, des lesbiennes des groupes "Jussieu" et entre autres "Banlieue nord" et des membres des "Mille et Une tendances" refusèrent un suivisme unitaire : elles remontèrent en tête et chassèrent Psych et Po de l’esplanade prévue comme lieu de rassemblement à la fin de la manifestation. La question de la stratégie du Mouvement féministe s’est posée aussi à l’occasion d’actions concrètes (contre le viol, contre les violences) et s’est révélée à chaque fois étroitement liée au conflit lesbianisme/hétérosexualité.

Aussi les termes de ce débat finirent-ils par s’exprimer très clairement le 6 juin 80 lors d’une 2ème réunion sur le n° 7 de Questions Féministes, centrée sur le bilan « dix ans de féminisme ». La question posée semblait se résumer ainsi : comment la connaissance de l’histoire du Mouvement pouvait-elle nous aider à définir des stratégies de lutte, étant donné la "conjoncture de répression" (projet Sécurité et liberté, Afghanistan, 3ème guerre mondiale…) ? Certaines posèrent que, du fait de cette conjoncture, il devenait important de se réintéresser en tant que féministes aux "luttes générales". Des lesbiennes dénoncèrent que poser ainsi le problème, c’était nier la généralitéde la lutte de libération des femmes, c’était tuer le féminisme radical en occultant que l’oppression de la classe des femmes par la classe des hommes traverse toutes les oppressions. C’est en consacrant toute notre énergie à notre libération que nous pourrons contribuer le plus efficacement à transformer l’ensemble des rapports sociaux.

La question de la participation des lesbiennes au féminisme il y a dix ans et celle du pourquoi de l’étouffement d’une tendance lesbienne politique furent également posées, et plusieurs participantes souhaitèrent avoir des éclaircissements sur des conflits passés et gardés sous silence, et qui semblaient ressurgir avec acuité. Le débat, très houleux, culmina dans un échange d’injures : une féministe "bisexuelle" traita une lesbienne de "mec" et se vit traitée en retour par une lesbienne (du groupe de Jussieu) de "collabo de service". Injure typique du système dominant d’un côté (une femme qui échappe aux hommes et qui parle avec une certaine violence se fait traiter, une fois de plus, de "mec"), mais accusation politique interne de l’autre ("collabo"). Il n’y a pas plus d’équivalence entre ces deux prises à partie qu’il n’y en a entre le statut privilégié par rapport aux lesbiennes dont bénéficient les femmes hétérosexuelles et la répression sociale que subissent quotidiennement les lesbiennes. Il s’avéra par suite qu’une rumeur se constitua ce soir-là contre les "lesbiennes radicales" identifiées depuis à une "ligne-Jussieu-terroriste-élitiste-bolcho" (et on en passe).

Lors de la Rencontre lesbienne des 21-22 juin 80 à Paris (organisée par le groupe Jussieu), les murs ont eu la parole et pour rappeler que nous sommes en état de guerre des sexes et que nous avons des engagements concrets à prendre, des lesbiennes (n’appartenant pas au groupe Jussieu) ont affiché, entre autres (cité d’après les photos) « Une femme qui aime son oppresseur, c’est l’oppression. Une "féministe qui aime son oppresseur, c’est la collaboration". "En temps de guerre des sexes, l’hétéro-féminisme est de la collaboration de classe". "Gouines honteuses, n’ayez pas honte de votre sexualité. Ce n’est pas de ça qu’il s’agit. Homosexuelles, n’ayez pas honte de votre lesbianisme. C’est de ça dont il s’agit". "Hétéro-féministes = kapos du patriarcat". "L’hétéro-féminisme divise la classe des femmes. Le lesbianisme honteux la trahit".

Des textes, émanant du groupe des lesbiennes de Jussieu, étaient proposés à la discussion, mais les féministes homosexuelles présentes ne voulurent parler que des murs, forcément moins explicatifs. Depuis , d’ailleurs, ne sont retenues que les adresses aux "pauvres hétéros", et non celles qui interpellaient les homosexuelles elles-mêmes sur leur refus d’affirmer politiquement leur lesbianisme. De cette Rencontre sortit la caricature hétéro=collabo…

Au cours de (et en liaison avec) ces évènements de mars à juin, se cristallisa dans le Collectif Questions féministes une opposition politique qui restait feutrée jusque-là. L’attaque fut ouverte en juin et dirigée contre la seule qui s’affirmait ouvertement lesbienne politique dans le groupe (et participait au groupe de Jussieu). Elle fut sommée de "retirer ses injures" (qu’elle n’avait pas dites), de "renier" "sa" position (qu’on ne lui laissait pas développer) sous peine : soit de devoir quitter le Collectif puisqu’on estimait pour elle illogique qu’elle envisage de continuer à travailler avec des hétérosexuelles, soit, en cas de refus, de contraindre à démissionner celle des hétéros du Collectif qui s’estimait "injuriée". Rapidement, le clivage se fit en deux sous-groupes : d’un côté, deux femmes qui rejetaient une lesbienne politique pour sa "discourtoisie", son "impolitesse", de l’autre, trois femmes qui soit avaient participé à des groupes lesbiens, soit étaient intéressées par un courant de pensée qui pour elles ne se résume pas à un slogan, et qui, se déclarant solidaire de cette lesbienne, manifestèrent leur revendication du lesbianisme (dès lors, on sut que le clivage politique ne recouvrait pas la défense d’"intérêts sexuels" puisqu’on retrouve des hétérosexuelles et des homosexuelles dans l’un et l’autre camp). La scission était fondamentale et affectait le collectif comme elle affecte le Mouvement.

Ce mouvement de solidarité reposait sur un choix politique : nous nous revendiquions du féminisme radical tel que nous l’avions défini dans notre Éditorial (Q.F. n°1, novembre 77) et il nous semblait que le courant politique lesbien qui s’exprimait depuis quelques mois, loin de le contredire, permettait de l’approfondir. Pour nous, la notion de "collaboration avec l’oppresseur", qui concerne toutes les féministes, était intéressante parce qu’elle faisait émerger des questions que nous avions laissées en suspens dans notre éditorial et produisait des clarifications au niveau de nos vies et de nos théories.

L’autre partie du collectif ne voulut voir dans ce questionnement que des "injures" ou des "culpabilisations" contre les femmes hétérosexuelles. Des lettres commencèrent à être échangées entre les deux parties du collectif, et il devint évident que le travail en commun n’était plus possible. Cependant, nous décidâmes d’un commun accord en juin de faire un dernier numéro de Q.F. sur le débat où tous les points de vue, quels qu’ils soient, pourraient s’exprimer. Mi-août, l’éditrice de Q.F. en était informée par deux d’entre nous ... qui ignoraient qu’entre temps l’autre partie (qui prétend s’intituler aujourd’hui Nouvelles Questions féministes) avait décidé de ne pas donner suite a ce projet.

Finalement, malgré nos affirmations réitérées que la publication d’un débat était capitale pour le Mouvement et pour les lectrices de Q.F. plus généralement, elles s’y opposèrent, et notre tendance, majoritaire au sein du collectif (5 personnes), fut contrainte au silence par la minorité (3 personnes, dont une qui s’était désintéressée de la revue depuis plus d’un an, et qui "reparut").

L’absence de dialogue tant dans le collectif que dans le Mouvement laissa libre cours aux interprétations, soupçons, bruits et rumeurs qui se soldèrent par une escalade de violences contre les "lesbiennes".

Début novembre 80, une rencontre de féministes radicales a lieu près du Mans, dont sont, dans le tract d’appel, exclues les lesbiennes de Jussieu. Aucun groupe de lesbiennes ne s’y rend, par solidarité, y compris notre sous-groupe Q.F.

L’une d’entre-nous, qui est allée individuellement pour protester, tente en Assemblée générale d’aborder la question du silence imposé aux lesbiennes à cette Rencontre et au sein de Questions Féministes son intervention est détournée par Christine Delphy qui annonce que, s’il y a des gens que Questions Féministes. intéresse, il y aura une commission spéciale le lendemain (donc en l’absence de notre sous-groupe).

Fin novembre circule dans le Mouvement un "dossier" de lettres internes au Collectif Questions Féministes que Christine Delphy et Emmanuèle de Lesseps commencent à diffuser (avec annotations en marge de nos lettres) sans nous avoir consultées, ni prévenues, arguant que "les lettres appartiennent à celles qui les reçoivent" (? !).Ce dossier (incomplet d’ailleurs) est mis en évidence à la librairie Carabosses (au public mixte), consultable par n’importe qui ayant intérêt par exemple à s’informer sur les mœurs des femmes du Mouvement. Inconscience ?

En février 81, nous apprenons que Christine Delphy et Emmanuèle de Lesseps reprennent pour une autre revue (revue qu’elles ont parfaitement le droit de faire) le titre de Questions féministes (avec l’artifice bien connu de l’adjonction "Nouvelles", ce qui permet d’avoir l’air de marquer une différence tout en re-indiquant la propriété par la continuité). Et ce, en dépit de l’accord signé par toutes le 24 octobre lors de la dissolution du Collectif Questions Féministes, selon lequel : "Les soussignées s’engagent les unes vis-à-vis des autres à ne pas publier à l’avenir d’autre revue portant le titre de "Questions féministes". L’audience de la revue Questions Féministes dépassant largement le cercle du Mouvement féministe, c’est devant une audience plus large que nous fûmes obligées de dénoncer l’appropriation de la revue (cf. notre tract "Des pratiques au-dessus de. tout soupçon", distribué lors de la. conférence de presse du Mouvement le 6,février 81, daté 80 par erreur au moment où il fut question de la presse féministe). En raison de la publicité qu’on nous oblige à donner à cette affaire, nous signons, non pas de nos noms, mais "les lesbiennes de l’ex-collectif Questions Féministes" puisque c’est sur cette base politique que nous avons été interdites d’expression à Questions Féministes. Or, Christine Delphy et Emmanuèle de Lesseps nous répondent par une "lettre ouverte" (et ouverte à qui ?...) portant en tête nos noms. Le fait d’avoir d’abord fait circuler (auprès de qui ?) nos lettres internes et maintenant de nous désigner nominalement comme "lesbiennes" dans une lettre publique dont nous n’ignorons pas qu’elle est déjà parvenue dans nos milieux de travail :

- nous dépossède individuellement de tout contrôle sur notre affirmation politique (c’est à chacune de choisir les temps et les lieux où elle souhaite affirmer nominalement son lesbianisme)
nous met socialement en danger (la répression du lesbianisme et de l’homosexualité en plus de celle du féminisme existe : voir entre autres faits récents la suspension sans traitement d’une enseignante et la mise à pied d’une ouvrière belge qui avaient participé à visage découvert à une émission de télévision sur le lesbianisme (cf. GRIF / Université de femmes, Bulletin n° 2, déc. 80). Cette pratique est donc soit d’une grave inconscience, soit d’une grave malveillance. On notera de plus, que si dans leur lettre ouverte, elles jugent "ignoble" que nous ayons signé notre tract "les" lesbiennes QF", ce qui serait "nier l’identité d’une lesbienne" (l’une d’elles) "en désaccord avec/nous", celle-ci ne se nomme pas…

Selon leur logique alors, elles n’auraient pas dû rendre publiques leurs lettres puisqu’elles nous appartenaient. Mais on connaît l’histoire : "Je te prends ton charbon et, en échange, tu me donnes tes patates". Dans ce tract, nous avons pris soin de ne nommer personne.

Pourquoi cette opposition violente de la part de féministes radicales à un courant politique lesbien qui s’affirme depuis plus d’un an ? L’analyse générale en termes d’histoire du Mouvement reste à faire et sera faite.

Pour notre part, au sein du Collectif Questions Féministes, cette obstruction nous paraissait difficile à comprendre. Nous souhaitions continuer le travail commencé dans l’éditorial et poser désormais les trois questions : du pouvoir hétérosexuel, des stratégies à mettre en œuvre contre la classe des hommes, des résistances développées par la classe des femmes contre l’oppression. Dans l’éditorial (nov. 77) avait été proposée une analyse théorique des rapports d’oppression entre les sexes, mais il n’y était pas (encore) question des stratégies de lutte.

Nous avions évoqué la nécessité de supprimer la hiérarchie, de dénoncer l’idéologie de la Différence qui renvoie l’oppression à une Nature. Mais comment se concrétisent les rapports de pouvoir que subissent les femmes, sinon par la contrainte à vivre avec l’oppresseur, à dépendre objectivement de lui, ce qui induit la contrainte à l’hétérosexualité ? Quelle stratégie peut-on utiliser pour supprimer les classes de sexe : est-ce en "faisant avec" la classe des hommes (stratégie "réformiste") ou en la considérant totalement comme la classe ennemie (stratégie "radicale").

Nous avions dit que l’oppression ne résumait pas notre être, que les contradictions du système social nous permettaient une vue critique, un point de vue féministe. Nous référions par là même à la possibilité d’une résistance idéologique, mais sans envisager les formes concrètes, les modalités pratiques que peut prendre la résistance à l’oppression. Entre autres, nous avions passé sous silence. l’existence et le rôle politique des lesbiennes, ces femmes qui rejettent l’oppresseur, qui tournent exclusivement leur affectivité vers des femmes, qui refusent la féminité, ces résistantes au pouvoir hétérosexuel sans lesquelles le féminisme n’aurait pu exister et ne saurait continuer à exister.

Le lesbianisme radical n’est pas une "préférence sexuelle" où seulement "aimer vivre avec des femmes". C’est le choix politique décisif qu’implique l’analyse en termes de rapports d’exploitation et d’oppression entre deux classes de sexe dont les intérêts sont antagonistes. L’engagement politique lesbien est différent du féminisme des "homosexuelles" ou des "hétérosexuelles" parce que nous choisissons d’utiliser les marges de liberté, les marges de manœuvre que nous laissent les contradictions du système patriarcal, pour le combattre à sa racine : le pouvoir de la Différence des sexes. C’est dire qu’à un niveau théorique nous tentons d’articuler le déterminisme de l’oppression et la résistance à l’oppression.

Le choix lesbien est mobilisation, dans un mouvement collectif visible, et report de toutes nos forces créatrices, intellectuelles, affectives vers les femmes, parce que nous avons toutes les mêmes intérêts de classe, loin de vouloir nous aménager des espaces dans une société hétéro-patriarcale qui objective, opprime et tue les femmes, nous voulons combattre ses dispositifs de pouvoir.

Le choix lesbien est prise de conscience que la violence des hommes contre les femmes est à l’œuvre sur tous les terrains, et notamment celui du "privé" avec ses pièges de l’affectivité ou du "désir" hétérosexuel (ce dernier fût-il conçu comme affirmation de soi). Il est décision, mise en acte, d’utiliser certaines conditions sociales et psychologiques qu’octroient les hommes à celles qui ont encore l’illusion que dans certains échanges avec l’ennemi, elles pourraient échapper à leur oppression de femme, le pouvoir hétérosexuel dispensateur de ces privilèges est pour nous une stratégie fondamentale du patriarcat, qui contraint les femmes à dépendre de ceux qui sont objectivement leurs oppresseurs. En ce sens, la subversion politique nous semble être dans sa structure et non dans l’aménagement de sa forme.

L’opposition théorique et stratégique entre, d’une part les lesbiennes radicales et d’autre part les féministes qui revendiquent (ou reconnaissent) l’hétérosexualité comme terrain de lutte , est finalement retournée contre les lesbiennes : parce qu’elles parlent de "complicité", de "collaboration de classe", les lesbiennes radicales se voient accusées de "culpabiliser" les féministes radicales hétérosexuelles et de les "forcer" soit à faire des ruptures dans leur vie privée, soit à "renoncer" à la lutte féministe ... Comme si ce n’était pas le pouvoir objectif des hommes sur les femmes qui "accule" certaines féministes à fuir le radicalisme, et certaines femmes à fuir le Mouvement !

Nous disons que l’hétérosexualité, pas plus que l’homosexualité, n’est une simple question d’ « orientation sexuelle » prédéterminée. Dire qu’on est « incapable de désir envers les femmes », c’est rester dans la logique au service des intérêts des hommes, c’est renforcer sa propre oppression. Pour les femmes prises dans l’hétérosexualité et qui veulent sortir des contradictions que cela leur pose en tant que féministes, seule l’affirmation ouverte de l’existence, de la possibilité et du sens politique du lesbianisme peut les aider à sortir de l’hétérosexualité.

Une position politique qui attaque une norme oppressive pour toutes les femmes (l’hétéro pouvoir) est subversive, fût-elle violente dans ses interpellations (le féminisme est lui-même violent pour les femmes non féministes). En revanche, un discours qui conforte cette norme aussi nuancé et "contradictoire"soit-il redouble la légitimation de la norme, légitimation du pouvoir des hommes sur les femmes, et ne peut que nuire à leur libération. Et il se retourne contre celles, les lesbiennes, qui se déclarent ennemies irréductibles et irréconciliables "de la classe des oppresseurs". C’est pour défendre une stratégie et une théorie qu’on peut donc appeler "hétéro-féministes", -légitimation de la norme– que des féministes ont attaqué des lesbiennes, c’est pour "soutenir" ces positions que des homosexuelles se sont désolidarisées des lesbiennes radicales.

Ce ne sont pas les lesbiennes qui ont "divisé" le Mouvement ou ont fait "mourir" Questions féministes. C’est le pouvoir de la classe des hommes qui nous a une fois de plus divisées…

Nous avons comme projet la publication d’un livre collectif qui permettra à d’autres comme à nous d’exprimer les analyses que nous nous étions proposé de publier dans un numéro-débat de Questions féministes. Si vous êtes intéressées par ce débat et désirez contribuer à cette publication lesbienne, écrivez-nous.

LFR/CQFD, C/o Les mots à la bouche, 35 rue Simart 75918 PARIS
LFR/CQFD = des Lesbiennes Féministes Radicales/Collectif (pour poser des) Questions Féministes Défendues, Décisives, Dévoilées, Démystifiées, Dérangeantes, Détergentes, Dé-placardisées, à Découvert, etc. (Nous avons déjà établi la liste des injures que certaines pourraient former à partir de la lettre D. Qu’elles ne se fatiguent pas.)

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