"Les identités du baobab" - Belgique

jeudi 10 octobre 2013
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Marthe Djilo Kamga, représente ici l’association «  Les identités du baobab » Elle est chargée de la coordination du festival Massimadi. Elle se sent d’ici et d’ailleurs. Elle a une idée à la seconde et aime que ces idées voient le jour ! Quand elle n’organise pas un festival, elle travaille sur des questions médico-sociales, et la citoyenneté à Bruxelles...ou ailleurs ! Son leitmotiv permanent est la quête et la coexistence des identités multiples et la diversité des expressions culturelles.

"Les Identités du Baobab" est une association créée en 2008 par quelques femmes. L’idée de cette association est de travailler, à travers la création et la diffusion d’œuvres artistiques (cinéma, art plastique, musique, etc.), sur la question des identités culturelles, sociales et sexuelles. Notre idée est que tout individu-e est traversé par de multiples identités qui se vivent différemment selon les sociétés dans lesquelles l’individu-e en question vit.

Dans mon exposé, je vais essayer de vous montrer comment par un festival de films LGBT d’Afrique et des diasporas, on aborde notamment la question des discriminations croisées mais aussi de ce que nous ressentons comme fondement commun au racisme, au sexisme ou à l’homophobie. Je vais bien sûr remettre notre expérience de ce Festival dans le contexte des montées des extrêmes droites en Europe et en Belgique et vous expliquer comment nous nous situons par rapport à cela.

1- Belgique et extrême droite

En Belgique comme ailleurs, on constate la montée de l’extrême droite, avec comme conséquence, une radicalisation des discours et des actes de discriminations envers les plus vulnérables, notamment les migrant-es. En Belgique, l’origine des ces partis extrémistes arrive vers la moitié des années 80 dans la mouvance de la création du FN en France. Dès lors les partis d’extrême droite en Belgique francophone, n’ont cessé de se créer et d’imploser. On constate dans le chef des partis extrémistes francophones, un manque de structuration, d’un réel programme politique, comme l’on peut retrouver au sein de leurs homologues dans la partie néerlandophone du pays. Ainsi donc, l’extrême droite est présente en Belgique surtout du côté flamand. En Flandre, l’extrême droite est ancrée depuis toujours dans le paysage politique et a connu une très forte poussée entre 90 et 2000 avec de nombreux élus au niveau local, régional (parlement flamand), et fédéral. Dans une ville comme Anvers, l’extrême a obtenu dans les années 90 jusqu’à 33% des voix aux élections communales et n’a été exclu du pouvoir que grâce à un « cordon sanitaire » mis en place par l’ensemble des autres partis de droite et de gauche. Actuellement, le principal parti d’extrême droite flamand le Vlaams Belang (ex-Vlaams Blok) est plutôt en perte de vitesse, surtout en raisons de dissensions internes et de problèmes de leadership. Ce qui explique aussi sa perte de vitesse, c’est la montée en force d’un parti nationaliste flamand – la NVA (Nieuw Vlaams Alliantie)– qui est un parti séparatiste, avec un programme économique néo-libéral et de fortes tendances populistes. Depuis l’année passée, la NV-A est notamment au pouvoir dans la ville d’Anvers et révèle - par la pratique - des politiques discriminantes à l’égard des étrangers.

On assiste progressivement à un durcissement de la droite et d’autres partis dits traditionnels (y compris de gauche) sur les questions liées aux étrangers notamment. Et l’on voit apparaître des partis de droite « décomplexés » qui assimile l’immigration à l’islam et affiche une islamophobie évidente.

Dans ce contexte, qu’est-ce qu’on peut observer par rapport aux questions homosexualités ?

En fait, l’ouverture du droit au mariage pour les couples de même sexe existe en Belgique depuis 2003 et l’adoption elle depuis 2006. Ces lois ont été votées grâce au plaidoyer associatif et à une coalition gouvernementale qui le permettait. Cela a donné lieu à des débats mais sans commune mesure avec la violence que l’on a pu observer en France ces derniers mois. Certaines questions (surtout liées à la filiation, gestation pour autrui) restent à régler car elles sont encore discriminantes à l’égard des couples ou parents de même sexe.

De même récemment, la Belgique a renforcé le dispositif législatif pour punir d’avantage l’homophobie. Au niveau des textes et des institutions, la Belgique est donc bien avancée. Ce n’est pas vraiment un sujet utilisé par les partis de droite ou d’extrême droite. Au niveau du quotidien, les lois ne règlent pas tout et on observe d’ailleurs une recrudescence (ou plus de visibilité/témoignages) des crimes à caractères homophobes (particulièrement en Wallonie).

Mais on ne peut pas dire que l’extrême droite – du moins les partis – font un sujet de la question LGBT. Du côté associatif non plus, le mouvement LGBT n’a pas non plus comme cible explicite les partis d’extrême droite (moins que l’Eglise catholique par exemple).

2- Pourquoi Massimadi

Tout ça m’amène à vous expliquer ce qu’est le festival Massimadi et comment nous pensons contribuer – même si ce n’est pas un objectif explicite - à la lutte contre l’extrême droite et la radicalisation des discours contre « l’autre ».

Massimadi est donc un festival de films et documentaires LGBT d’Afrique et des diasporas. Nous avons organisé la première édition en Mai 2013 à Bruxelles et nous sommes en train de préparer la seconde édition.

Pourquoi ce festival ? Dans les festivals qui traitent des questions d’Afrique et des Diasporas, ainsi que d’autres festivals LGBT, il y a en général peu ou pas de films qui traitent justement de la question LGBT Afrique et diasporas. Et quand c’est abordé, c’est souvent sous un angle « victimisant » ou exotique. Il nous semblait qu’il y avait d’autres choses à dire et c’est ce qui nous a donné envie de créer ce festival en nous inspirant de celui qui porte le même nom et qui existe déjà à Montréal depuis 5 ans maintenant.

Ce que l’on veut faire, c’est parler des manières dont se vivent les homosexualités féminines et masculines des africain.es et des noir.es, quel que soit leur pays de résidence. Les questions des identités et de l’intersection de l’origine, du genre, de la classe et de l’orientation sexuelle sont au cœur de la programmation de la première édition.

On voulait aussi casser cette image d’une Afrique soit-disant « homophobe » et donc forcément de communautés noires homophobes. Les réalités sont évidemment plus complexes. Même si les parcours sont comme partout parfois semé d’embuches, chacun.e et chaque société doit trouver son chemin par rapport à tout ça : au fait de le vivre, au fait d’en parler – ou comment – au fait de la reconnaître sociétalement, etc. C’est pour cela que nous avons choisi des films qui abordent “de l’intérieur” les questions d’orientations sexuelles dans les communautés noires et non des films sur les homosexualités en Afrique ou dans les communautés noires. Ce que l’on voulait faire, c’est un festival pour réfléchir à ces questions mais aussi pour se divertir et se rencontrer. Les enjeux de ces moments-là, c’est de stimuler, de tisser des liens, de se faire des amis-es, des amours, créer les rencontres qui pourraient ne pas se faire autrement.

3- En quoi Massimadi pourrait-il contribuer à lutter contre l’extrême droite ?

Tout d’abord par ce que Massimadi, c’est une affirmation. Qu’il y a évidemment des homosexuels et lesbiennes dans les communatés noires – mais ça, on n’avait attendu Massimadi pour le savoir. Par contre, Massimadi affirme qu’il y a une réflexion au sein des communautés noires et chez les lesbiennes et homosexuels noir.es sur ce qu’est être homosexuel.le et noir.e (et femmes pour les lesbiennes), autant de caractéristiques que l’on sait propices à la discrimination. Affirmer et visibiliser qu’il y a une réflexion et des créations artistiques, des expressions culturelles sur ces questions par ceux et celles qui sont concernées au premier plan, c’est prendre une place dans l’espace public et cela ça contribue à couper court aux phantasmes, préjugés et autres qui pourraient être lancés ou instrumentalisés par l’extrême droite.

Le festival Massimadi ne se veut pas un festival informatif à l’intention - disons - des blancs hétérosexuels. Au contraire, sans en faire un cercle de réflexion fermé, Massimadi s’adresse explicitement à ceux et celles qui sont concernés par la question des homosexualités/genres/transgenres dans les communautés noires (comme homosexuel, lesbienne, frère et sœur de, père ou mère, voisin ou voisine de, etc.). En montrant ces différents films, le festival cherche à partager des regards et des expériences différentes sur ces questions et surtout à banaliser ces expériences.

Nous pensons que cette réflexion et cette banalisation contribuent à l’acceptation individuelle et que c’est souvent là une condition essentielle à l’implication dans l’action collective pour lutter contre les discriminations et le rejet de l’autre, discours classique de l’extrême droite.

Et puis, on voit beaucoup l’extrême droite et la droite dure instrumentaliser les questions homosexuelles comme féministes d’ailleurs - à des fins islamophobes. Or, Massimadi montre des films où l’on raconte justement d’autres réalités sur la manière dont se vivent les homosexualités, notamment dans les communautés musulmanes noires. En faisant cela, on espère contribuer à couper cette mauvaise herbe sous le pied de l’extrême droite…

Donc, comme vous l’avez compris, Massimadi n’est pas un festival qui se positionne explicitement en lutte contre l’extrême droite mais qui très concrètement participe – à son petit niveau - à contrer ce qui fait le terreau de l’extrême droite et de la propagation de ses idées, à savoir les mécanismes de domination et de pouvoir, le repli identitaire et la peur de l’autre, les stéréotypes, etc.

Marthe Djilo Kamga


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