Lesbiennes d’hier et d’aujourd’hui : fantasmes et réalités

mardi 4 septembre 2012
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Lesbiennes d’hier et d’aujourd’hui : Fantasmes et réalités

Stéphanie ARC [1]

Cette contribution porte sur la manière dont les lesbiennes furent –et sont encore aujourd’hui– représentées dans les discours aussi bien publics que privés : médias (la publicité notamment), créations culturelles et artistiques (livres, films, etc.), mais aussi, tout simplement, discussions courantes.

En France d’abord, et plus largement en Europe et en Amérique du Nord. Anodines si l’on ne prête pas attention à leur sens implicite, ces représentations manifestent en réalité un ensemble de clichés très dépréciatifs. Sous couvert d’humour, elles s’avèrent souvent extrêmement stigmatisantes pour la minorité qui en fait les frais.

Parce que ces « images » sont profondément ancrées dans les mentalités, parce qu’elles influent sur la façon dont la société considère les lesbiennes, il est important de ne pas, de ne jamais, y rester indifférent-e.

Mais au contraire, il est important de les déconstruire en débusquant les préjugés qui les sous-tendent et en interrogeant leur origine et leur sens : d’où viennent-elles ? Que signifient-elles ? Autant de questions qui ne sont pas sans rapport, loin s’en faut, avec la thématique "Visibilité et invisibilité des lesbienne" de cette journée, organisée grâce par la Coordination lesbienne en France.

« La lesbienne », une figure mythique

Lorsque l’on s’intéresse de près à ces images –qui s’avèrent assurément un excellent indicateur de la manière dont une société, dans son ensemble, perçoit les amours féminines– on ne peut manquer d’être frappé par certaines spécificités. Outre le tabou qui, depuis des siècles, fait régner un silence de plomb sur l’homosexualité des femmes, et donc la relative rareté des représentations, celles-ci se révèlent très caricaturales dans leur grande majorité. Généralement fausses, ou, au mieux, partielles. Elles relèvent de l’imaginaire plus que de la réalité, réalité à laquelle elles ont de surcroît fini par se substituer. Les « lesbiennes » telles qu’elles sont évoquées ne sont ainsi que la projection des nombreux fantasmes –au sens large– qu’elles suscitent dans l’imaginaire collectif. Car elles ne laissent apparemment personne de marbre, suscitant une cohorte de sentiments négatifs, de la crainte à l’aversion, du mépris à la déconvenue, lorsque ce ne sont pas des désirs érotiques, conscients ou inconscients.

Ces représentations, contradictoires pour certaines, se sont conjuguées entre elles pour donner naissance à un personnage, quasiment une figure de la mythologie : « la lesbienne », sorte d’anomalie naturelle et sociale, personnage à la fois mystérieux et effrayant, excitant et repoussant, à l’instar des monstres des légendes, des Sirènes aux Gorgones. Le mythe a d’ailleurs en partie pour fonction de résoudre les contradictions des diverses représentations en leur donnant une logique, allant jusqu’à les recomposer selon un sens qu’elles n’avaient pas au départ. Ainsi « la lesbienne », mi-femme, mi-homme, est-elle très tôt venue hanter le panthéon de la littérature comme les écrits des médecins : de la « tribade » des traducteurs de Sappho à la Renaissance à la « femme damnée » de Baudelaire dont la « jouissance stérile » symbolise la décadence, de l’« invertie » au « troisième sexe » des médecins de la fin du 19e siècle (Richard Von Krafft-Ebing, Magnus Hirschfeld et consorts). Et elle n’en a jamais été chassée, faisant couler beaucoup d’encre jusqu’aux années 1970. Or quel portrait en a-t-il été donné ?
Si plusieurs images cohabitent, apparemment irréductibles à une seule et même figure, elles se résument toutefois à quelques traits dont on peut aisément dresser une typologie.

Cette typologie distingue principalement deux catégories, ce qui prouve, soit dit en passant, la cohérence de la perspective hétérosexiste de notre société : les « vraies » lesbiennes, qui sont « masculines », versus les « pseudos » lesbiennes, les « féminines ».

Les « vraies » lesbiennes

Qu’elles l’appellent « hommasse », « jules » ou « camionneuse », bon nombre de personnes considèrent ainsi que la lesbienne, la vraie, est intrinsèquement « virile » : elle porte des vêtements d’homme, se comporte comme les garçons dont elle partage les goûts et les habitudes. Les descriptions de cette lesbienne « à la Gazon maudit » (chemise de bûcheron, Doc Martens, cheveux en brosse), « masculine » (selon les normes sociales contemporaines) au physique comme au moral, sont pléthoriques. Pour les médecins d’hier (l’Allemand Hirschelfd, le Britannique Havelock Ellis…) comme pour certains scientifiques d’aujourd’hui (notamment les Américains Marc S. Breedlove, psychologue à Berkeley, et Dennis MacFadden, de l’université du Texas), c’est d’abord le corps des « homosexuelles » qui présente des signes anatomiques de « virilité ».

Les médecins du début du 20e se plaisent ainsi à décrire des femmes qui, non contentes de fumer, de conduire des voitures de sport et de revêtir des costumes, ont, selon eux, la voix grave, le larynx proéminent et une pilosité très développée. Le psychiatre et psychanalyste américain Franck Caprio, auteur en 1959 d’un essai édifiant sur l’homosexualité de la femme, et pour qui « la classification la plus simple et en même temps la plus exacte est basée sur la division des lesbiennes en type viril et type féminin », va jusqu’à décrire « le type I (viril) [comme] de grande taille, mais pas nécessairement de grand poids ».

Les chercheurs contemporains offrent certes des descriptions moins grossières de ce qui, anatomiquement, rapproche soi-disant les lesbiennes des hommes. Ils traquent la virilité sur leur corps dans des recoins invisibles à l’œil nu, et sont ainsi passés de la conformation du larynx à la manière dont résonne la cochlée, une partie de l’oreille interne (Dennis Mac Fadden, 1998), ou encore au rapport de la longueur de l’index et de l’annulaire. Mais une chose est sûre, ils partagent avec les médecins du siècle précédent une idée fondamentale : cette masculinité serait la cause de l’homosexualité féminine. Pour eux, seules sont des « vraies », les lesbiennes « congénitales ». C’est pourquoi la lesbienne masculine est aussi la seule à retenir l’attention de ceux qui tentent de puiser l’explication de l’homosexualité dans la nature [2]. Pour d’autres médecins, tels Caprio, plus portés sur la psychologie que sur la biologie, « l’homosexualité est acquise, elle n’est ni héréditaire ni innée […] C’est un trouble d’origine plutôt psychique que physique… » La lesbienne virile présente donc, selon lui, des traits psychologiques bien particuliers « dus aux conflits intérieurs » et à « sa névrose profonde non résolue ». Ainsi, poursuit-il, « elle a une nature agressive et […] cherche une partenaire qui lui serait soumise dans la vie affective. » Mais « ces femmes sont [aussi] querelleuses et difficiles à manier » [3]. Et mille autres réjouissances encore. Les « vraies » lesbiennes, il va sans dire, furent et sont sans nul doute encore, les plus stigmatisées, et ce notamment, comme l’a montré Marie-Jo Bonnet [4] on les soupçonne, en usurpant les atours des garçons, de chercher à usurper les privilèges qui leur sont réservés. Témoigne de cette désaffection le sort que leur promettent la plupart des œuvres (romans, pièces de théâtre, films…) –citons le Puits de solitude, écrit par Marguerite Radclyffe-Hall, pourtant lesbienne, en 1928. L’héroïne, « virile », y finit mal. Bien que ces œuvres punissent sans états d’âme toutes les femmes qui aiment les femmes, en les vouant à un destin peu enviable, clos par une mort malheureuse, c’est la plus « masculine » des deux qui paie le prix fort.

Les « pseudos » lesbiennes

La lesbienne « féminine » inquiète assurément moins l’imaginaire social. Car son amour est plutôt appréhendé comme un égarement passager, lié aux circonstances, que comme une affection –pathologique ou non– de tout l’être : hétérosexuelle en quête de sensations nouvelles, jeune brebis séduite par une « hommasse », elle n’est somme toute pas « perdue pour la cause » hétérosexuelle… Ses caractéristiques physiques comme morales n’ont du coup jamais présenté un grand intérêt, ni pour les médecins (pour qui elle n’est qu’une… femme comme les autres), ni pour les auteurs, à moins qu’ils ne la mettent en scène pour pimenter leur histoire d’une note érotique. Néanmoins, Caprio donne de ce « type II » un portrait qui vaut d’être rapporté : « La lesbienne du type féminin cherche l’amour maternel (…). Elle est souvent très préoccupée par sa beauté et est plus ou moins narcissique. Elle est plutôt bisexuelle. Elle se prête bien à la psychothérapie quand elle (…) manifeste le désir prononcé de devenir hétérosexuelle ».

Pourquoi le mythe l’emporte-t-il sur la/les réalité/s ?

Ces représentations, nous le voyons, sont la manifestation flagrante, l’incarnation des principales idées reçues qui concernent l’homosexualité féminine, autrement formulées dans les topos classiques : « On reconnaît facilement les lesbiennes à leur apparence », « Ce sont des garçons manqués », « Elles devraient se faire soigner », « Entre femmes ce n’est pas vraiment du sexe » (« parce qu’il manque le phallus, organe nécessaire à toute sexualité »), « L’homosexualité, c’est de naissance », « Elles préfèrent les femmes parce qu’elles n’ont pas rencontré le bon », « Elles détestent les hommes », etc. Mais d’où viennent ces préjugés eux-mêmes ? Pourquoi l’homosexualité féminine a-t-elle, et durant si longtemps, été conçue sur le mode du fantasme uniquement ? Plusieurs facteurs ont concouru à ce phénomène, dont quatre majeurs :

Ce sont les hommes qui ont essentiellement parlé d’homosexualité féminine, les femmes n’ayant pas voix au chapitre pour témoigner de leur expérience propre.

Durant des siècles, et jusqu’aux années 1970, l’écriture, voire la parole, a, à quelques exceptions près (Renée Vivien, Nathalie Barney, Radclyffe-Hall…), été monopolisée par les hommes. Or, par définition, ils ne savent pas ce qu’est une relation entre deux femmes, et donc ne peuvent que se l’imaginer, projetant sur elle leurs affects et émois. Et la quantité d’écrits sur ce thème témoigne de leur prédilection : depuis la Renaissance (les traducteurs de Sappho mettent alors le « tribadisme » –du grec « tribein », frotter– au goût du jour), médecins, poètes, romanciers, journalistes y vont de leurs élucubrations, généralement lesbophobes. Les mouvements féministes des années 70 se caractérisent notamment par le fait que les femmes se réapproprient la parole. Aujourd’hui, et même si la gent féminine est toujours moins présente dans les médias que les hommes, les discours des lesbiennes sont plus fréquents et plus « décomplexés » : ils donnent ainsi lieu à la réalisation de films dans de nombreux pays (Fire de l’Indienne Deepa Mehta sorti en 1998, ou Unveiled de l’Allemande Angelica Maccarone, en 2005), de séries (The L Word créée par l’Américaine Ilen Chaiken en 2004), de romans (ceux d’Ann Scott, de Claudine Galéa, de Sarah Waters…), etc..

Outre que les principales représentations de l’homosexualité féminine soient le fait des hommes, il pèse sur elles un tabou plurimillénaire.

« Nous découvrions l’homosexualité, sans la nommer davantage que nos mères jadis, dans « La Religieuse de Diderot » et « Les Femmes damnées » de Baudelaire, explique ainsi Evelyne Le Garrec [5] en 1984. Sur ces relations, le silence et la discrétion étaient de mise, ce qui n’a du coup guère permis la contestation, par le verbe ou par la visibilité au quotidien, des idées reçues prégnantes. Parce que l’homosexualité entre femmes remet absolument en cause les schémas traditionnels de la société hétéropatriarcale –mariage, famille, maternité–, parce qu’elle inquiète la domination masculine, ou parce qu’il est tout simplement inconcevable qu’une femme mène une existence sans hommes, elle s’est toujours avérée subversive. Elle gène, effraie et cause le scandale. Elle est « l’anomalie qui réclame le nom cach » (Djuna Barnes). « Pourquoi punir ce qui n’existe pas ? », aurait ainsi demandé la reine d’Angleterre Victoria au 19e siècle, illustrant un principe fondamental de l’esprit humain : occulter ce qui nous dérange. La censure s’exerça ainsi à plusieurs reprises : le roman de Violette Leduc, La Bâtarde, est, en 1955, amputé de sa première partie qui conte « une histoire de sexualité lesbienne aussi crue que du Genet » (Beauvoir à Nelson Algren). Il faut attendre 1966 pour qu’elle soit publiée, séparément de surcroît sous le titre de Thérèse et Isabelle. En découle par conséquent une profonde méconnaissance de ce que vivent réellement les lesbiennes.

Mystère, sexe, interdit, subversion… tout porte l’imaginaire social à s’interroger sur ces amours et à en avoir des visions extravagantes.

Evelyne Le Garrec raconte ainsi comment, petite fille, elle s’empresse d’aller visiter son institutrice, qui vit avec une femme et a « des mœurs spéciales », comme le disent les voisins : « … elles formaient comme une île minuscule mais d’un très fort attrait. Que faisaient-elles, toutes deux dans leur maison isolée ? Un jour, nous avons tenté, une camarade et moi, de percer le mystère sous prétexte d’apporter des copies à Melle X […] Que risquait-il de nous arriver ? Qu’allions-nous découvrir ? […] Et nous sommes reparties déçues après qu’on eût offert une tasse de thé rapide […] Aucune porte n’ouvrait sur une intimité que nous allions continuer à ignorer et à imaginer. »

Or l’être humain conçoit l’inconnu en l’extrapolant de ce qu’il connaît déjà. Nombre de personnes se représentent ainsi les amours lesbiennes, terra incognita, à partir du modèle hétérosexuel classique, schéma qui constitue d’ailleurs leur seul horizon parce que la société l’institue comme tel. Ainsi voient-elles le couple lesbien comme une parodie du couple hétérosexuel, et l’acte sexuel comme un simulacre de coït : « qui fait le femme et qui fait l’homme ? », entend-on souvent. Que la sexualité lesbienne puisse justement être source de liberté parce qu’elle échappe aux comportements préétablis ne leur effleure pas l’esprit. Que la « masculinité » des lesbiennes s’avère un jeu avec les normes, une transgression, une réappropriation personnelle des codes sociaux, et non un regret affiché de n’être pas un homme, ne semble pas de l’ordre du possible.

Enfin, si les représentations caricaturales qui sont données des lesbiennes sont liées à une méconnaissance, elles se fondent aussi sur une interprétation erronée de certaines réalités.

Il en va ici de la manière dont naissent les clichés et dont ils s’auto-alimentent. Ainsi de l’idée que « les lesbiennes sont masculines ». Une simple promenade dans le quartier du Marais à Paris nous permet de constater, effectivement, qu’un certain nombre de lesbiennes –a priori– aiment à se donner une apparence plus « masculine » que la moyenne des femmes dans notre société. Et c’était déjà le cas, sous des modes vestimentaires différents, à la Belle-Époque (le port du pantalon était alors interdit aux femmes par la préfecture de police). La lecture que l’on fait de ce phénomène varie néanmoins que l’on soit un médecin du début du 20e ou un sociologue queer d’aujourd’hui. Gageons en effet que les tenants de la « virilité congénitale », pour étayer leur théorie biologisante (pour désirer une femme, il faut être un homme), s’inspirèrent des quelques lesbiennes « masculine » qu’ils avaient sous les yeux, plutôt que des lesbiennes « féminines » (qui, nous l’avons vu, sont considérées comme de « pseudo » lesbiennes). Ils élaborèrent ainsi leur théorie « du troisième sexe », qui fut reprise ensuite par un certain nombre de lesbiennes elles-mêmes. Radclyffe-Hall était de celles-ci, qui fit même préfacer son Puits de solitude par le Britannique Henry Havelock Ellis (1859-1939). Or ce roman, parce qu’il était à l’époque l’un des seuls à avoir été écrit par une lesbienne et abordait le sujet de front, eut un impact considérable sur ses innombrables lectrices. Convaincues de la véracité du propos, elles purent par la suite alimenter le stéréotype.

En réalité, dans notre perspective, il est certain que les raisons qu’auraient les lesbiennes d’affectionner une tenue vestimentaire, des activités, ou des attitudes dites « masculines », n’ont rien à voir avec la « nature ». Elles tiennent bien plutôt à des habitus : goûts personnels mêlés de normes sociales, de culture communautaire (comment se reconnaître entre soi si ce n’est par des signes ostensibles que l’on partage), de théorie et de pratique féministes ou/et postféministes, etc.. Toujours est-il que nous procédons ainsi à une « déconnexion » fondamentale entre nature, identité de genre et sexualité.

Cette déconnexion, puisqu’elle nous extirpe du déterminisme biologique (mais pas de tout déterminisme social), nous place dès lors dans une situation de responsabilité : chaque individue peut être considérée comme en grande partie responsable de ses attitudes et de ses choix vestimentaires. Et donc de l’image qu’elle projette d’elle-même, comme… de sa « communauté », disent certaines. C’est ainsi que les femmes, jugées trop masculines, sont, et furent, parfois stigmatisées [6] au sein de la « communauté » lesbienne. Reproche leur est fait d’être des « camionneuses » : de se conformer à l’image que la société véhicule des lesbiennes et de conforter les clichés. Mais certaines voix lesbiennes se font aussi l’écho des discours lesbophobes en les accusant de « parodier les hommes » ou de faire preuve d’une intolérable vulgarité. Colette eut ainsi des mots très durs, dans Le pur et l’impur (1932), sur les lesbiennes qui « jure[nt] le nom de Dieu en montant [leur] cric et […] tutoie[nt] le garagiste ». Les lesbiennes « éminines », ont, quant à elles, pu être soupçonnées de chercher à dissimuler leur homosexualité.

Mais rien ne sert pour autant, lorsque l’on est lesbienne et que l’on aime la chemise-cravate ou la lingerie fine, de s’autocensurer par crainte de correspondre aux clichés et de les véhiculer. Le seul impératif catégorique et la meilleure manière de lutter contre les préjugés s’avèrent, dans nos pratiques quotidiennes, de nous acharner à devenir nous-mêmes, en dépit des normes sociales.

Des préjugés à contrecarrer

Lesbophobes, ces formules toutes faites que la plupart des gens prononcent sans y songer ? Les clichés que nous avons énoncés peuvent certes paraître anodins au regard des agressions homophobes que relaient les médias. Les violences envers les lesbiennes dont témoignent chaque année les rapports de SOS homophobie sont en effet d’un tout autre acabit : insultes (59 % des 173 témoignages en 2006), menaces et harcèlement (42 %), agressions physiques (14 %), retraits de la garde des enfants, chantage affectif, licenciements… Et c’est l’entourage – famille et amis – (27 % des cas), qui demeure, d’une année sur l’autre, le contexte le plus sensible pour elles. Chantal a ainsi appelé la ligne d’écoute pour narrer son histoire : « Je viens de perdre mon amie. Cela faisait presque trois ans que nous étions ensemble. Sa famille a refusé que je vienne à l’enterrement. Je suis lesbienne, ça ne passe pas. La famille ne veut pas me dire où elle est enterrée, me harcèle par téléphone en prétendant que tout est ma faute, que c’est moi qui l’ait tuée (elle avait un cancer). Ils veulent que je rende tout ce qu’elle m’a donné. Sa mère m’a craché au visage. » Véronique a, elle, connu des incidents graves dans le cadre de son travail : « En arrivant un matin, Véronique s’est fait insulter par une collègue : “t’es qu’une sale gouine mal baisée, ce qu’il te faudrait c’est une grosse bite dans ta chatte”. Sur ce, un collègue lui a donné une claque. Elle a porté plainte. Au moment de son témoignage, elle venait de recevoir une convocation pour un entretien en vue d’une sanction ou d’un licenciement »[[Rapport annuel 2007, SOS homophobie, « Lesbophobie ». Et les exemples, malheureusement, ne manquent pas.

Mais les idées reçues ne sont pas sans incidence. Elles témoignent d’abord de la vision qu’a la société de l’homosexualité et constituent les forces vives de l’homophobie culturelle : celle qui, par exemple, agite l’argument psychanalytico-anthropologique de la « différence des sexes » pour refuser aux gais et aux lesbiennes le droit de se marier et d’adopter des enfants. Mais elles conditionnent aussi souvent l’attitude des acteurs sociaux, du particulier (amis, famille, commerces, services…) à l’instance étatique (police, justice, médecine, administration…). Car les préjugés influencent considérablement les comportements. La construction sociale d’une figure mythique de la lesbienne sert ainsi d’arc-boutant aux personnes lesbophobes en leur offrant une justification, une bonne conscience. Un alibi derrière lequel elles ont tout le loisir de se retrancher.

Soyons donc, autant que faire se peut, vigilants et vigilantes, en contrecarrant ces préjugés pluriséculaires sur les lesbiennes, qui tracent en creux, et en négatif, les contours d’un personnage fantasmatique, et qui font ainsi le lit de la lesbophobie.


[1Diplômée de philosophie morale et politique à la Sorbonne, Stéphanie Arc a travaillé dans l’édition et collaboré au Journal du CNRS, avant de se consacrer à l’écriture. Elle est l’auteure de l’ouvrage « Les Lesbiennes », dans la collection « Idées reçues » aux éditions du Cavalier bleu.
Elle est par ailleurs membre de la commission lesbophobie de SOS homophobie.

[2Et qu’ils n’ont jamais trouvée jusqu’alors.

[3L’Homosexualité de la femme, Dr. F. Caprio, 1959, 1970 pour la traduction fr., Payot.

[4Les relations amoureuses entre les femmes. XVIe-XXe siècle, Marie-Jo Bonnet, Odile Jacob, 1995.

[5Des Femmes qui s’aiment, 1984, Éditions du Seuil.

[6Voir les récits recueillis dans Attirances. Lesbiennes fems, lesbiennes butchs, C. Lemoine et I. Renard (dir.), Éditions gaies et lesbiennes, 2001.


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