Texte 14

vendredi 2 mars 2012
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Lesbiennes, on est là : sortons de l’anonymat !

Nelly, Groupe Lesbiennes Paris, Quand les femmes s’aiment, numéro 3-4, mars 1979

L’histoire du groupe Lesbiennes de Paris a commencé le 11 Novembre 77. C’était alors un grand rassemblement, le stage de réflexion des Groupes femmes de la région parisienne. Le matin du premier jour, s’étaient formées des commissions sur différents thèmes dont une sur la sexualité, commission importante en nombre et en intérêt, et qui, comme nous l’écrivions dans un premier texte du groupe, témoignait d’une demande présente depuis longtemps dans les groupes d’ouvrir le champ de la réflexion sur notre rapport à la sexualité, et ceci avec le souci de dépasser les discussions théoriques souvent abstraites où nous nous enfermions, en y investissant notre vécu le plus profond, et donc le plus difficilement exprimable.

Malheureusement, parler de sexualité est alors revenu à parler de "faire l’amour", et de plus, entre hommes et femmes (qui l’eut cru !) Avec le recul, je pense aujourd’hui que notre difficulté à nous intégrer ne vient pas seulement de ce que le discours était presque exclusivement hétérosexuel. Nous, Lesbiennes, nous retrouvions, du fait de la tournure que prenait le débat, une fois de plus coincées dans le piège : homosexuelle = deux femmes qui font l’amour, et, sans doute parce que minoritaires et donc culpabilisées, mais aussi je crois, lassées de cette situation cent fois vécue, nous ne pouvions imposer une discussion sur le vécu homosexuel.

"Acceptées" dans le Mouvement, mais de fait niées par cette pseudo-acceptation qui consistait à parler de l’homosexualité une fois de temps en temps avec une distance prudente - ("et si on parlait du problème de l’homosexualité ?"), notre désir n’était pas de parler de nos rapports sexuels devant quelques femmes respectueusement intéressées, ni de notre dimension spécifique, mais de nous retrouver entre nous et d’enfin reconnaître, par cette rupture, que nous existions dans la différence, et que nous la revendiquions.

Personnellement, pour la première fois, après bien des années de militantisme "catho" sur l’avortement et la contraception, dans le MLAC notamment, j’ai ressenti combien était faussée d’avance la solidarité que j’exprimais alors, et combien aussi c’était une manière de me faire accepter en épousant les problèmes des autres.

Mais sans doute trottait alors dans nos petites têtes de réprimées consentantes la théorie toute faite suivant laquelle on est femme avant que d’être homosexuelle ; attendre l’aube de la libération de la femme avant que d’entamer notre combat spécifique, comme d’aucuns attendent l’aube de la Révolution Prolétarienne Mondiale pour penser à aider son voisin dans la panade. On appelle cela "les choix prioritaires".

Et il m’est permis de rêver à ce qu’aurait pu être un Mouvement de femmes, où les lesbiennes se seraient vécues et exprimées en tant que telles, dans leur radicalité sans le souci permanent des mecs –compagnons de vie. A ce qu’elles auraient pu insuffler de subversif et de refus des concessions dans le combat de toutes les femmes contre leur oppression.

Pour en revenir au stage d’Orsay, dépasser le stade de l’acceptation-négation, nous donner un lieu et un temps de réflexion exclusivement homosexuel, retrouver une parole et un vécu que nous avons souvent inconsciemment accepté de taire au profit de celui de la majorité des femmes, c’est tout cela que nous exprimions en demandant notre sortie de la commission sexualité.

Cette division ne s’est d’ailleurs pas faite sans problème, certaines copines refusant d’accepter que nous ressentions comme prématurée et inutile une discussion commune sur toutes les "formes" de sexualité.

Sans doute retrouvait-on dans ce refus divers motifs plus ou moins conscients :

- la peur de nous voir sortir du Mouvement ou plutôt des groupes, qui théoriserait nos différences de vécus et entérinerait de notre part la décision de construire des groupes lesbiennes ;

- le refus d’accepter dans les faits l’idée qu’une majorité des femmes dans le Mouvement puisse en opprimer une minorité ;

- le désir aussi de réduire artificiellement le fossé entre nos vécus si différents pourtant ; le besoin d’effacer par la parole nos différences ; la tentation de nier ce qui fait notre oppression spécifique, par de grandes affirmations faciles du genre "nous sommes toutes homosexuelles".

Nous avons fini par nous séparer à une quinzaine avec encore un peu de culpabilité, mais, au bout de la réunion, le désir de nous retrouver, de ne pas casser ce qui venait de commencer.

Je me souviens très fort de ma joie, de cette tendresse que je ressentais pour ces copines qui, bien que différentes, étaient un peu moi, de cette complicité dans nos rires et dans nos allusions ; de cette ambiance de connaissance que je n’avais jamais ne serait-ce qu’entrevue, en trois ans d’un groupe de quartier.

Aujourd’hui, malgré toutes les difficultés rencontrées et à venir, malgré les découragements devant notre lenteur à nous trouver, je continue de croire en ce groupe, en ce qu’il peut nous apporter et apporter au Mouvement des femmes. Et la multiplication des groupes de lesbiennes en province est là pour prouver qu’un Mouvement est en train de naître.

Nous sommes maintenant une quarantaine de copines dont 25 viennent régulièrement. 120 à 150 filles à mon avis sont passées en un an, ce qui ne manque pas de poser le problème du pourquoi elles passent sans rester :

- Tout d’abord, nous avons des difficultés à discuter de manière continue et approfondie. Cela tient un peu aux structures que nous nous donnons (nous sommes passées du grand groupe aux commissions puis au grand groupe etc.). Mais surtout, je crois, au fait que, nous réunissant autour de notre vécu de Lesbiennes, nous n’avons pas, ou peu, de ces échappatoires qui permettent, comme dans les groupes de quartier, de parler du prochain meeting, des projets du P.C. ou du P.S., ou de la nouvelle robe de Gisèle Halimi… Parler de soi, directement, sans fard, c’est dur, dur, et les silences nous semblent parfois si pesants que nous préférons rigoler un bon coup sur n’importe quoi et perdre ainsi tout ce qui peut sortir d’un long silence.

- Difficultés aussi à intégrer les nouvelles, parce qu’un noyau de bonnes copines, ça ne se pénètre pas facilement, même si ça ne demande que ça

- Et puis les différences de vécu (eh oui, chez les lesbiennes aussi) dont on parle peu parce que "attention terrain glissant", mais qui parfois pèsent lourd dans l’atmosphère : les lesbiennes "depuis toujours", et celles qui ont connu des hommes, les devenues lesbiennes par le Mouvement, celles qui se sont mariées, les bisexuelles, celles qui veulent des enfants, celles qui n’en veulent pas, etc.

Tout ce qui fait la diversité d’un groupe et sa richesse, tout ce qui fait aussi les malentendus, les solitudes.

- Et puis ce local dont on rêve et qu’on ne trouve pas ; Jussieu, Dutôt, puis le MLAC, la rue St Sabin, puis la maison des femmes du XIIIe arrondissement. Mais rien vraiment à nous : un centre de vie lesbienne, un endroit où nous voir en dehors des réunions, une approche différente, des femmes qui ne sont pas dans le groupe mais qui veulent venir nous dire bonjour.

Pour ne pas vivre et dépérir sur nous-mêmes des projets commencent à germer comme autant de petits espoirs d’ouverture : un montage diapos, des sketches, une pièce de théâtre, des chansons, des débats publics, une semaine cinéma, des ateliers… Et le journal !

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