Lesbienne en Algérie

jeudi 10 octobre 2013
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Je m’appelle Yasmine, je suis Algérienne.

Je suis féministe radicale, et lesbienne. C’est la première fois que je me présente comme ça devant autant de monde que je ne connais pas. D’habitude je m’arrête à féministe.

Je fais partie d’un collectif féministe initié il y’a maintenant une année, on était au départ peu nombreuses (trois en fait, toutes amies), et là on est quand même arrivées à créer un petit noyau de 20 femmes qui ont envie de militer pour les femmes.

Nous voulions au départ créer une association, nous avons passé beaucoup de temps à discuter notre future charte que nous voulions construire en groupe, en discutant les grandes questions féministes, ça nous a permis de partager nos expériences, de passer de l’individuel au collectif et de prendre conscience du patriarcat ensemble.. Finalement, nous avons préféré rester un collectif informel. Nous avons projeté des films, organisé des rencontres-formations, nous avons une petite bibliothèque de livres féministes, et avons dernièrement commencé un groupe d’auto-défense féministe. L’organisation est bien sûr horizontale, nous décidons au consensus. Cela dit, je suis ici à titre individuel.

Au début, ce qui a été le plus difficile, c’était de convaincre le groupe de l’intérêt d’être en non-mixité. Un sujet qui a eu tendance à revenir sans arrêt pendant les réunions, surtout quand des nouvelles rejoignaient le groupe, mais qui a tout de même fini par être intégré et revendiqué par toutes.

Ces discussions reprenaient souvent les mêmes thèses, soit le sexe des gens ne compte pas si nous avons les mêmes idées, soit l’idée très peu féministe que c’est positif que certains hommes soient avec nous parce que ça aidera à convaincre les femmes de l’intérêt du féminisme.
 
Nous avons parlé de la prise de parole dans une assemblée mixte qui est statistiquement monopolisée par les hommes, et du besoin de se retrouver loin des dominants, d’échanger des expériences loin du regard et des commentaires masculins.

En Algérie, la mixité a été le combat de certaines féministes, parce que certains espaces sont interdits aux femmes, parce que nous sommes contraintes à des couvre-feu (plus ou moins tacites mais qui n’en demeurent pas moins effectifs) .. Aussi, pendant les années 90, les islamistes ont souvent attaqué la mixité à l’école.. Il a donc fallu expliquer comment la non-mixité féministe choisie contrairement à celle qui nous est imposée par les hommes pour nous tenir loin de l’espace dit public n’était pas un retour en arrière, ni une ségrégation. Je crois que depuis, nous avons bien eu l’occasion de vérifier le bonheur d’être entre femmes, et l’énergie militante révolutionnaire que ça libère en nous.

Mais en parallèle, j’ai à plusieurs reprises pensé à créer un groupe féministe lesbien parce que je ne me retrouvais pas entièrement dans le collectif à majorité hétérotes. Je me retrouvais à éviter de parler de mon expérience parce que les filles avaient peur qu’on étiquette le groupe de lesbien (et qu’on le discrédite en ces termes). Je voulais me donner à quelque chose de féministe ET lesbien. Pas l’un sans l’autre, et pas en mixité. Je crois que ce qui m’a manqué, c’est des filles motivées et un peu plus de liberté de mouvement et de sécurité (chose que je n’ai pas tant que je vis chez mon père).

Il faut savoir qu’en Algérie, outre la lesbophobie ambiante, les actes homosexuels sont punissables par la loi ; ’il serait donc impossible d’avoir un agrément pour créer une association. Mais que malgré ça, il existe déjà deux groupes LGBT (mixtes donc) qui militent de manière plus ou moins secrète.

J’ai parlé du projet avec des militantes d’Algérie et d’ailleurs, plus ou moins au courant du contexte, et on m’a assez découragé en me parlant d’un danger que je ne connaissais que trop bien.

Il faut savoir que depuis, nous avons fait du chemin avec mon groupe. Et que maintenant, j’arrive à parler de lesbianisme et même de lesbianisme politique en réunion.

Le groupe nous apporte beaucoup, c’est une thérapie pour nous, un espace protégé où nous pouvons parler en liberté de nos douleurs et nos colères, et dans lequel nous discutons un féminisme plus ou moins radical, mais qui nous permet de tenir la tête hors de l’eau. Aussi, nous apprenons à nous battre, et ça c’est génial.


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