Les lesbiennes au regard de l’évolution des droits en Belgique

mardi 4 septembre 2012
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Les lesbiennes au regard de l’évolution des droits en Belgique

Valérie GILBERT [1]

Les droits

La Belgique est devenu un pays très ouvert à la reconnaissance des droits homosexuels du moins d’un point de vue légal : le bal des légalisations a commencé en 1999 avec l’instauration de la cohabitation légale (équivalant du PACS en France). En 2003, le mariage homosexuel est autorisé mais n’inclut pas la filiation automatique : contrairement aux couples hétérosexuels mariés où l’enfant est automatiquement considéré comme celui du mari, l’épouse d’une lesbienne qui donne naissance à un enfant n’est pas directement considérée comme le 2ème parent. Pour pallier cette inégalité, l’adoption par des couples gays et lesbiens est autorisée depuis le 20/06/2006 : les couples homosexuels ont donc les mêmes droits et devoirs par rapport à leurs enfants que les couples hétérosexuels. Par ailleurs, une loi permettant de lutter contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle existe depuis le 25/02/2003 : les auteurs d’actes homophobes risquent une peine d’emprisonnement et/ou une amende en cas de plainte.

Comment ces avancées ont-elles été possibles ?

Les propositions de lois sur la reconnaissance venant du parti libéral flamand (VLD), on peut penser que la proximité de notre royaume avec la Hollande a joué un rôle certain. Les revendications des associations gay et lesbiennes ont également joué un rôle : la manifestation de revendication la plus importante étant la gaypride co-organisée par la fédération des associations gaies et lesbiennes (FAGL) et Holebi-federatie.

Que pense la population de ces avancées ?

La reconnaissance des droits des homosexuels est encore très fraîche dans l’esprit de la population : une étude a été réalisée montrant que si 60% des participants est favorable au mariage entre homosexuels, l’adoption par les couples homos est moins bien acceptée : le pourcentage d’avis positifs tombe à 38% (Source : Test Santé 72, avril mai 2006). Encore aujourd’hui, des couples homosexuels sont victimes d’homophobie.

Les lesbiennes se sont elles appropriées ces droits ?

Il est encore difficile aujourd’hui d’avoir des informations précises sur le nombre de lesbiennes en Belgique. Cependant, nous disposons de quelques chiffres en ce qui concerne le mariage homosexuel en 2004 : 43% des mariages homosexuels sont célébrés par des lesbiennes. Il semble cependant que les flamands aient une plus grande facilité à passer le cap : 68% des mariages sont célébrés en Flandre, 15% en région wallonne et 12% à Bruxelles (source : institut national des statistiques). Etant donné que la population flamande est plus nombreuse que la population wallonne, le nombre de mariages doit être calculé en fonction du nombre d’habitants pour avoir une idée plus réelle de la situation. Par millions d’habitants, 253 mariages sont célébrés en région flamande, 256 en région bruxelloise et seulement 96 en région wallonne. Les wallons (francophones) accusent donc bien un retard significatif quant à l’appropriation de leurs droits.

Enfin, d’après les statistiques communiquées par la commune de Bruxelles Ville, les Français ont été les plus nombreux, parmi les étrangers, à bénéficier en 2005 de la législation autorisant le mariage des couples homos. Sur les 30 mariages prononcés à Bruxelles, ville en 2005 qui impliquaient un ou deux partenaires étrangers, 8 ont concerné des Français(-es) et 9 seulement concernaient des Belges (source : tetu.com).

Malgré les grandes avancées d’un point de vue législatif, il existe encore des freins sociaux à la visibilité des lesbiennes et plus particulièrement du côté francophone du pays.

Quelles sont les raisons de l’invisibilité lesbienne : plusieurs études ont été réalisées en Allemagne sur les violences causées aux lesbiennes et leurs conséquences sur l’invisibilité lesbienne.

Référence du chapitre : © Garance asbl 2002, Entre visibilité et invisibilité (www.garance.com)

Les études constatent que la grande majorité des lesbiennes a été victime de violences lesbophobes : selon Ohms (2000, p 53), ce sont 78% des lesbiennes, selon IFZ (1999) ce sont 98%. Les différences s’expliquent entre autres par des différences de définition de la violence. De 14% (Ohms 2000, p 61) à 24% (IFZ 1999, p 130) des lesbiennes ont été victimes de violence physique. Ceci inclut coups et blessures, bousculer, poursuivre, lancer des objets sur la personne etc.

Un pourcentage relativement élevé, 6%, rapporte qu’elles ont subi une agression armée (Ohms 2000).

Entre 60% (Ohms 2000, p 65) et 98% (IFZ 1999, p 130) des lesbiennes ont vécu la violence psychologique qui s’est manifestée en insultes, humiliations, blagues, menaces, exclusion, négation ou la mise en question des capacités professionnelles ou maternelles ou du sexe même de la lesbienne concernée.

La violence sexuelle concerne entre 25% (Ohms 2000, p 68) et 44% (IFZ 1999, p 130) des lesbiennes. Ce terme comprend la drague non-voulue, la caractérisation de la sexualité lesbienne comme une sexualité de manque, immature et incomplète, les attouchements, les invitations sexuelles non-voulues jusqu’au viol.

Ces deux études démontrent que les agressions sexuelles graves et les exclusions verbales ont plutôt lieu dans le cadre familial, dans la sphère privée, tandis que les agressions physiques, le harcèlement et les insultes ont plutôt lieu dans l’espace public. Les femmes qui vivent ouvertement leur lesbianisme doivent faire face à davantage de violence - contrairement à ce préjugé qui nous dit que les lesbiennes se stigmatisent elles-mêmes et que c’est leur sentiment d’insécurité qui serait responsable des agressions qu’elles rencontrent. Elles démontrent également qu’il y a des différences importantes entre la violence envers les femmes hétérosexuelles et celle que subissent les femmes lesbiennes. La plupart de la violence physique faite aux femmes hétérosexuelles a lieu dans la sphère privée et est faite par des personnes qu’elles connaissent ; alors que la violence physique envers les lesbiennes a le plus souvent lieu dans la sphère publique et est le fait des inconnus.

De même, les expériences des lesbiennes ne sont pas identiques à celles des gays. Quand les gays sont attaqués, les agresseurs utilisent plus souvent des armes (22%) et sont en général plus brutaux. Les plus graves différences sont entre 98% de violence psychologique chez les lesbiennes et 54% chez les gays, et entre 44% de violence sexuelle chez les lesbiennes et 3% chez les gays. Sur la base des différents rôles sociaux pour les hommes et les femmes, les gays et les lesbiennes réagissent différemment à la violence et trouvent des différentes manières pour digérer le vécu.

Les lesbiennes comptent sur la possibilité (et probabilité) d’être agressées, surtout en public et développent des stratégies personnelles pour éviter la violence (Ohms/Müller 2001 : p 9).

L’étude de l’IFZ (1999, p 166) a spécifiquement observé les stratégies d’évitement que les lesbiennes utilisent pour ne pas devenir victimes de violence. 75% des lesbiennes évitent de montrer de la tendresse en public ; 66% des lesbiennes disent qu’elles observent d’abord les opinions de leur entourage sur l’homosexualité avant de révéler leur identité psychosociale ; 49% évitent le sujet de leurs relations amoureuses ; 48% attendent pour qu’on les connaisse mieux avant de le dire ; 48% ne mentionnent pas le sexe de leur partenaire ; 17% mentent sur le sexe de leur partenaire ; 22% adaptent leur apparence pour ne pas paraître "trop masculines" ; et 6% vont à certains événements sociaux avec un homme "alibi".

Ces stratégies d’évitement ne limitent pas seulement la liberté des lesbiennes, mais elles changent aussi l’aspect des espaces publics : les lesbiennes deviennent encore plus invisibles que la société ne les fait, et elles n’utilisent pas les espaces publics dans la pleine mesure de leurs droits.

L’espace public n’est pas seulement le lieu le plus dangereux pour les lesbiennes, elles le perçoivent aussi comme le plus dangereux, encore plus dangereux que le lieu de travail ou les espaces policiers et de justice (IFZ 1999, p 169).

Les conséquences : les lesbiennes (visibles) manquent dans les espaces publics, la subculture représente un danger qu’il faut accepter pour l’accessibilité de ces lieux. Or la subculture est importante pour l’acquisition de la confiance en soi, d’une image positive des lesbiennes et aussi pour les contacts avec d’autres lesbiennes. Pour les lesbiennes mêmes, cela peut mener à la retraite dans le privé, l’isolement. Comme les lesbiennes tendent à traiter le danger de violence différemment, ceci peut aussi représenter un lourd impact sur leurs relations, un potentiel de conflit entre partenaires et amies.

Les mesures prises

Différentes mesure ont été prises depuis 2002 pour prévenir l’invisibilité lesbienne : L’ASBL Garance réalise une prévention personnelle primaire ainsi que secondaire.

La prévention personnelle primaire, permet de donner plus de moyens aux lesbiennes pour éviter la violence et se défendre sans se limiter dans leur liberté.

La prévention secondaire, c’est l’accueil et l’assistance aux lesbiennes victimes de violences. Cependant, l’accès à cette prévention, et donc dans les locaux de Garance visibilise les lesbiennes et demande une « prise de risques » que toutes les lesbiennes ne sont pas prêtes à prendre.

Notons que le réseau REBEL (Réseau Économique Belge entre Lesbiennes) association récemment créée, permet de pallier le problème majeur des lesbiennes ; ce réseau sans obligation de se montrer « au grand » jour permet à la fois d’avoir des contacts quotidiens ou presque avec des lesbiennes sans prendre le « risque » d’être visible et donc de violence. Combien de lesbiennes se sentent mal à l’aise devant leur gynécologue. Combien de lesbiennes se sentent jugées par un vendeur de bijoux ou de fleurs ? Le fait de ne révéler l’homosexualité d’aucune des deux parties permet d’intégrer un lieu d’échange sans jugement extérieur mais permet également de ressentir l’appartenance à la subculture lesbienne.

En ce qui concerne la prévention structurelle, donc les stratégies et concepts politiques des mouvements sociaux et de l’état, une action a été entreprise à l’initiative de Madame la Ministre-Présidente Marie ARENA : un premier manuel pédagogique "Combattre l’homophobie. Pour une école ouverte à la diversité" destiné aux professeur.es et aux intervenant.es en milieu scolaire a été conçu dans le cadre de la lutte contre toutes les discriminations et de la promotion de l’égalité des chances.

Sites intéressants :


[1Agronome dans le domaine de la recherche scientifique. Présidente du réseau REBEL (réseau économique belge entre lesbiennes) qui a pour but de tisser des liens économiques entre lesbiennes. Le réseau est ouvert à toutes les lesbiennes.

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lundi 2 mars 2020

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