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vendredi 2 mars 2012
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Malika, algérienne, lesbienne : réfugiée

Témoignage au colloque national d’études lesbiennes, Toulouse, 13-14 mai 2000, Espace lesbien, n°1, octobre 2000, pp. 55-60

Je suis née à Oran (Algérie), où j’ai passé toute mon enfance. Dernière née d’une famille de sept enfants, j’ai grandi dans un cadre très strict. Mon père était fortement imprégné de la religion musulmane et tout lui donnait prétexte à nous faire subir sa violence : un mot de trop, une attitude jugée non digne d’une musulmane… Ma mère n’avait presque aucun droit, ni de statut. Son rôle se limitait à servir mon père et à nous élever. Mes sœurs les plus âgées ont été mariées sous la contrainte. Elles vivent aujourd’hui dans l’oppression, le silence, la souffrance et la peur.

Dans ma famille, je suis la seule à avoir fait des études et à avoir eu la chance de pouvoir m’instruire selon mes propres goûts, mes envies, mes désirs, grâce à l’intervention de ma grand-mère paternelle.

Adolescente, j’ai commencé à me sentir différente, à être attirée par les femmes, particulièrement par une de mes professeures. Mes amies ne comprenaient pas mon attachement. L’une d’elles m’a alors dit qu’elle pensait que j’étais peut-être homosexuelle. Ne connaissant pas ce terme, j’entrepris quelques recherches et ai essayé de savoir si cela était « normal » du point de vue religieux. Comme je me sentais de plus en plus coupable de mes émotions, je décidais de me tourner davantage vers la religion, qui était, à ce moment-là, le seul « remède » que l’on m’a indiqué. J’ai alors décidé de porter le « foulard » car je pensais trahir ma religion et que le porter me purifierait l’âme. Je multipliais les prières…

Un an après, comme pour un test, j’ai revu cette professeure pour savoir si j’étais « guérie », mais mes sentiments étaient toujours intacts. Pour connaître l’avis de mon entourage et leur conception de l’homosexualité, je les ai interrogées, ils m’ont tous dit que c’était « dégueulasse, répugnant… ». Je me suis isolée dans le silence.

Cette fois, c’est vers les études que je me suis tournée pour tenter d’oublier mes attirances, en me disant que je devais à tout prix garder pour moi ce que je ressentais et ne jamais avoir une relation avec une personne du même sexe.

C’est avec le coming out d’Amélie Mauresmo que j’ai commencé à accepter petit à petit mon homosexualité. Je prenais conscience que je n’étais pas la seule et que ce n’était pas si cruel que ce que l’on pouvait bien dire. Une de mes amies, en ramenant une pile de magazines, m’a permis de découvrir le numéro spécial de VSD sur les lesbiennes. Il y avait plusieurs adresses de bars, d’associations.

J’ai alors écrit au Centre gay et lesbien de Paris. Mon objectif était de nouer un contact avec des personnes comme moi, savoir si ces gens-là existaient vraiment. Le CGL a faxé ma lettre à l’association Amal (amal veut dire « espoir » en arabe). Je rentrais en contact avec des homosexuel-les maghrébin-e-s.

C’est une Française qui m’a répondu : Ingrid. Des liens de plus en plus forts se sont tissés entre nous au fil des lettres, des appels téléphoniques. Décidées l’une et l’autre à vivre notre amour, Ingrid est alors venue en Algérie pendant 15 jours pour que nous nous rencontrions. N’ayant pas le droit d’amener chez moi la plupart de mes amies, j’ai dû inventer un mensonge pour qu’Ingrid soit acceptée. Durant son séjour, notre relation s’est intensifiée mais la peur d’être découvertes était très présente. Ingrid s’est fait accepter par les miens comme une simple amie qui venait de France, à ma grande surprise. Je me sentais revivre, mieux parmi les miens, qui m’en faisaient d’ailleurs la remarque. J’étais heureuse parce qu’elle était là.

Le jour de notre séparation arrivait. Notre douleur et notre amour nous ont rendues, à ce moment-là, moins vigilantes. Le monde autour de nous n’existait plus. Nous nous sommes embrassées dans la cour de la maison. Ma grande sœur nous a surprises à cet instant. Son comportement changeait mais je ne savais pas pourquoi. Lorsque Ingrid est partie, je suis retombée, à nouveau, dans une grande tristesse. La famille me l’a encore souligné.

J’ai soumis à mon père mon souhait d’étudier en France mais après discussions, mon père a refusé mon projet d’études en France. Je me suis renfermée sur moi, dans le silence et la souffrance.

Mes sœurs fouillaient dans mes affaires, lisaient mes lettres, questionnaient mes amies pour savoir si elles trouvaient que j’avais changé. Ma mère se posait des questions, ne comprenant pas l’attitude de mes sœurs à mon égard. Je ne trouvais plus de solution pour que mes sœurs me laissent en paix, et rompre avec Ingrid était impossible, de la rejoindre encore plus.

Le 13 janvier 2000, après avoir parlé au téléphone avec Ingrid, une forte dispute a éclaté entre ma sœur et moi à cause de ma relation cachée. Elle a menacé de tout dire aux parents, elle m’a giflée et m’a jeté en plein visage : « Je vais te tuer avant que notre père ne le fasse ». Je suis montée dans ma chambre pour ne plus penser, être au calme, avec une grande peur qu’elle me dénonce. J’EN AVAIS MARRE. Sans penser, j’ai alors pris une grosse dose de somnifères : désespérée et sans espoir.

Le lendemain, je me suis réveillée à l’hôpital, entourée de perfusions et de toute ma famille. Je ne comprenais pas la situation. La seule explication qui a été donnée à ma famille est un surdosage de médicaments. Un policier et le médecin m’ont interrogée. J’ai réussi à convaincre tout le monde que c’était un surdosage accidentel, car la tentative de suicide est un « péché » selon la religion et elle est aussi un délit. Je ne voulais rien dire. J’avais peur que la vérité soit découverte. À ma sortie de l’hôpital, j’ai tenu à récupérer mon dossier médical pour effacer toutes preuves de mon acte, dossier que je n’ai pas réussi à obtenir.

À mon retour, ma grande sœur, connaissant la vérité et la nature réelle de mon acte, m’a agressée verbalement en me culpabilisant davantage. Je décidai alors d’ouvrir la discussion car je supportais de plus en plus difficilement les allusions médisantes qui m’étaient adressées. Je lui avoue mes attirances pour les femmes et l’amour que je porte à Ingrid. Par la suite, mes sœurs m’ont contrainte à aller voir un psychologue pour « m’en sortir », sous menace de « tout dire ». Le premier rendez-vous chez le psychologue s’est très mal passé. Il m’a dit que j’étais atteinte d’une maladie et qu’il pouvait me soigner. Au fil des entretiens, je lui disais ce qu’il voulait entendre. Mes sœurs, découvrant que je recevais toujours des lettres et des coups de téléphone d’Ingrid, au beau milieu de la nuit, ont compris que je n’avais pas l’intention de « m’en sortir ».

Le 8 février 2000, je me dispute avec l’une de mes sœurs au sujet des communications téléphoniques que je recevais. Ma mère arrive au moment de nos échanges verbaux assez violents. Ma mère prend alors ma défense en disant qu’elle trouvait que ma sœur m’espionnait trop. À ce moment-là, ma sœur révèle à ma mère que je suis lesbienne, malgré l’accord que nous avions toutes passé ensemble de ne rien lui dire. À son tour, ma mère m’insulte et me porte des coups en me culpabilisant de tous les espoirs qu’elle avait mis en moi : « Aucune de mes filles ne m’a jamais fait ça. Tu es la honte de la famille, et d’Allah… » Je me suis sentie reniée, incomprise et seule.

Par la suite, elle a consulté plusieurs marabouts dans le but d’ôter le « péché » qui est en moi. Ils lui ont donné des drogues censées me sauver. Elle les mettait dans ma nourriture, ce qui me rendait épouvantablement malade. Ma mère et mes sœurs déchiraient mes lettres, m’interdisaient le téléphone, m’espionnaient continuellement. On m’empêchait de sortir, j’ai dû implorer pour avoir le droit de continuer à me rendre à la fac ; le reste du temps, le devais rester cloîtrée à l’intérieur de la maison. J’ai aussi appris plus tard que ma famille était en train d’organiser à mon insu mon « mariage » avec un parfait inconnu. Ce mariage aurait dû avoir lieu cet été. Dès que je l’ai su, j’ai tenté de les raisonner mais il était trop tard, je devais leur obéir sans appel.

Dans les semaines suivantes, je reçois le formulaire à remplir pour le visa que j’avais demandé. Heureusement je pouvais recevoir mes appels au poste téléphonique de la faculté, car aucune de mes sœurs ne me donnaient connaissance des communications reçues à la maison. Ma famille n’était donc absolument pas au courant de cette demande de visa. Quand j’ai eu la réponse et le rendez-vous du consulat fixé au 9 mai, j’avais une semaine pour prendre la décision de partir mais aussi pour tout organiser : en effet, je devais tous les matins prendre quelques affaires pour les déposer chez un ami, afin d’éviter de devoir sortir un jour avec un gros sac et d’éveiller les soupçons.

J’ai réservé ma place sur un vol Oran Alger et une autre pour le lendemain sur un vol Alger Toulouse. Pour ma sécurité, je ne devais pas rester plus de deux jours à Alger car ma famille aurait pu retrouver ma trace ; de plus, personne n’était en mesure de m’héberger à Alger. Le 10, jour de mon arrivée à Alger, je n’ai pas pu avoir mon visa et j’ai dû passer la nuit devant l’ambassade. Le lendemain matin, je suis allée chercher mon visa, et j’ai pu prendre l’avion pour Toulouse le jour même, le 11 mai 2000.

Une semaine plus tard, j’ai téléphoné à ma famille qui m’a menacée et m’a demandé de rentrer au plus vite avant qu’ils ne me retrouvent et que je subisse des représailles. Pour les membres de ma famille, leur honneur a été atteint par ma fuite, qui a alimenté les discussions du quartier. Ce qui a entraîné une haine plus forte à mon égard. Je crains l’arrivée de mon frère de Grenoble, de ma famille, pour me ramener à leur raison. Les menaces formulées, les critiques, les insultes alimentent une crainte quotidienne.

Ma famille sait désormais que je suis en France. Ils ne veulent plus me parler, ils m’ont rayée de leur vie, mais ils m’ont clairement dit que si je me représentais sur leur route, ils n’auront aucune pitié pour moi. Je sais ce que cela signifie : c’est la mort.

Depuis la date de ce témoignage, fait très peu de temps après son arrivée en France, une mobilisation associative et individuelle a permis à Malika d’obtenir une carte « visiteur » pour un an puis un certificat de résidence d’un an renouvelable.

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