Texte 6b

vendredi 2 mars 2012
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DE QUELQUES IDENTIFICATIONS

Catherine, Les Temps Modernes, n° 333-334, avril-mai 1974, “ Les femmes s’entêtent ”, pp. 2087-2091

Article en hommage à une lesbienne barbue rencontrée à la Lesbian Food Conspiracy de New York

Nous avons TOUTES nos IDENTIFICATIONS MASCULINES et je crois qu’il n’y a pas de quoi en faire un plat, qu’elles ne sont pas toutes à mettre au panier de la réaction, comme le font nos manichéistes de la libération des femmes.

Les premières femmes qui ont osé FUMER, par exemple, alors qu’on disait partout : "fumer est... MASCULIN" (eh oui, on a dit ça autrefois). A qui s’identifiaient‑elles à votre avis ? Mon avis à moi c’est qu’elles ne POUVAIENT que s’identifier principalement aux hommes, en tirant leurs premières bouffées de... RÉVOLTE. Cependant, trente ans après, TOUTES les femmes pouvant fumer à leur guise, l’identification initiale s’est envolée en... fumées. Et voilà, le tour est joué : on peut continuer d’avancer, d’identifications mâles, en fumées, jusqu’à la RÉCUPÉRATION de tout ce que l’homme phallocratique a taxé de "MASCULIN" par abus de pouvoir et mystification de toutes espèces.
Certes, les identifications de cette sorte, dans un contexte oppressif, sont dangereuses, mais INÉLUCTABLES, et, au bout du compte bénéfiques pour la libération générale des femmes.

En Amérique, et dans le Mouvement (j’insiste, parce qu’en France, elle n’y serait pas dans notre Mouvement, tel qu’il est actuellement, avec ses obsessions freudiennes, répressives, comme les ont développé principalement à un moment certaines filles du groupe Psychanalyse et Politique), j’ai rencontré... une lesbienne barbue (poils naturels garantis).

Sans aucun doute elle s’identifie, ou s’est identifiée à un moment de sa vie, aux hommes. Je pose la question : ET ALORS ? Il n’en reste pas moins vrai, qu’au bout du compte, elle révèle ainsi l’absurdité, que les poils, ici ou là, appartiennent en propre, et SEULEMENT, à la masculinité.

Je m’avise, avec elle, avec son courage provocateur, qu’il existe des hommes imberbes, des peuplades entières mêmes, d’hommes imberbes à qui on n’a jamais demandé compte de leurs hormones, comme on le fait systématiquement de celles des femmes poilues ; il y aurait de quoi rire de "l’illogisme" délibérément politique, mâle, si ce n’était qu’avec de telles sornettes, on a exploité, tué, rendu folles, bien des femmes.

Ces quelques identifications au mille que j’ai décrites, ont pour règle d’être PROVISOIRES, un moment inéluctable de l’histoire de notre libération. Elles marquent une sorte de doute de soi, de division du MOI propre à l’opprimé(e), qui se libère toujours péniblement des modes de penser et de sentir de l’oppresseur.

En effet, j’ai bien le courage de violer tes interdits, tes tabous d’oppresseur, prenant conscience qu’ils sont les MOYENS de TON pouvoir et de TON oppression. Mais le sens pervers de TA justice, expression idéologique de TES intérêts, et TES catégories, moyens de TON règne, incrusté en moi depuis la plus tendre enfance, me DIVISENT lors de la révolte. Suis‑je FEMME ou HOMME ? Qui n’a connu ce trouble d’identité ? C’est que je suis les DEUX et divisée, TANT QUE TES CATEGORIES ET TES VALEURS SONT LA LOI DOMINANTE, OPPRESSEUR ! Tant que je serai définie et éduquée en SEXE OPPOSE.

D’UNE IDENTIFICATION DITE « AMBIGUE"

Et qui est celle transmise principalement (je ne dis pas uniquement) par les lesbiennes, à travers en particulier, leur goût du TRAVESTISSEMENT ou TRANSVESTISSEMENT et qu’on a dénoncé comme une PERVERSITÉ. Mais qui, à mon avis, annonce une CULTURE nouvelle, qu’il serait temps de revendiquer.

Eh oui, il y a une sorte de "CULTURE" prémonitoire, propre aux homosexuels des deux sexes, celle des femmes beaucoup plus asphyxiée et moins affirmée dans le peu qui en reste, à cause de l’oppression phallocratique (à laquelle s’ajoute l’oppression hétérosexuelle. On réprime aussi l’émergence de cette culture dans le Mouvement, alors que le FEMINISME pourrait en tirer une grande part de sa substance REVOLUTIONNAIRE.

Cette "CULTURE" panique nos "FEMINISTES‑FEMINISANTES" freudiennes, nos gauchistes gardiennes de la vertu des masses (masque de leurs problèmes avec l’homosexualité), et en général, LES NOUVELLES CONVERTIES D’UNE HOMOSEXUALITÉ VECUE COMME SIMPLE "EN PLUS" DANS LEUR SEXUALITÉ, ET LA SEXUALITE TOUT COURT, SUR LE MODÈLE TOUJOURS DOMINANT.
Alors que c’est BIEN DAVANTAGE et que par ce "davantage" seulement, l’homosexualité devient POLITIQUE et CULTURE.
C’EST PAR LA CULTURE QU’ELLE ENGENDRE ET ENGENDRERA PAR ET AVEC LE FÉMINISME QUE L’HOMOSEXUALITE DEVIENT... POLITIQUE ET REVOLUTIONNAIRE.

L’homosexualité, pour moi, C’EST LE PARCOURS QUI VA DE LA FEMINITE A UN "ANDROGYNISME" QUI SIGNIFIERAIT « NI FEMININ. NI MASCULIN" (au lieu de "féminin et masculin"). Car, nous avons à rejeter l’un et l’autre, dans la mesure où la "masculinité" se confond avec UN ROLE d’oppresseur, et que la "féminité" en est l’objet asservi (il ne s’agit pas de nier ici, toute différenciation, notamment biologique, entre hommes et femmes).

L’homosexualité, c’est aussi un FEMINISME, parmi les féminismes exprimant différents vécus, qui rompt radicalement avec LA FEMME divinisée et exploitée exclusivement comme MÈRE et MATRICE. NOUS NE VOULONS PAS D’UN MONDE FUTUR MATRICIEL !

NOUS LESBIENNES rejetons notre peau "féminine" aux chairs molles, passives, pénétrables, COLLÉE PAR LES HOMNIES. A esprits libérés, CORPS CHANGES (puisqu’ils ne sont pas SÉPARABLES).

NOTE : attention pratiquer l’acte de PENETRATION n’est pas en soi condamnable, et ne pas le pratiquer, un gage de bonne conduite politique féministe. Ce qu’on doit s’efforcer de refuser c’est L’IDEOLOGIE hétérosexuelle de la pénétration comme PRATIQUE DE VIOL, jouissance masochiste ET NORME TOTALITAIRE des rapports sexuels. Bien entendu, le REFUS DE L’IDEOLOGIE, peut passer par un refus de l’acte qui lui est lié, y compris dans un rapport homosexuel.
NOUS LESBIENNES, rejetons les gestes mièvres, décoratifs, dits "GRACIEUX" de la "féminité" PLAISIR DE L’HOMME. La BEAUTE et L’EFFICACITE doivent cesser d’être antagoniques. Hommes et femmes seront beaux sans amputations. Mais, autant La BEAUTE que L’EFFICACITE seront à REDEFINIR et vivre autrement que ce que nous en savons et vivons dans le système capitaliste et patriarcal.
Actuellement les filles les plus intéressantes de ce point de vue, au Mouvement, sont celles qui font de la "provocation" transvestissante : les filles chapeautées, bottées, casquées, etc., fortement fantasmées comme "MECS" à tort.

C’est en nous débarrassant du COLONIALISME hétéro et de ses déteintes en NOUS, tels LES ROLES féminins‑masculins, c’est en redécouvrant mais surtout en INVENTANT, en produisant maintenant NOTRE CULTURE HOMOSEXUELLE, et extensivement la CULTURE des femmes, avec de plus en plus conscience de son rôle POLITIQUE, que nous deviendrons la force révolutionnaire importante, essentielle au FEMINISME.

QUELQUES DÉVELOPPEMENTS SUR LA NOTION DE « CULTURE » HOMOSEXUELLE

Précisons d’abord que cette "CULTURE" actuellement est dans l’état d’une "SOUS‑CULTURE". Car en dehors des légendes du trop lointain passé, ELLE EST LE PRODUIT COLONISE ET POURRI DU PETIT GHETTO LESBIEN CERNE ET ENVAHI PAR LA CULTURE DOMINANTE, MALE ET HETEROSEXUELLE.

Cette "SOUS‑CULTURE", je la vois comme l’ensemble des SIGNES, modes, rites, qui traversent spécifiquement ce petit ghetto, et qui permettent aux femmes qui ont à voir de près ou de loin avec ce ghetto de se RECONNAITRE, de s’IDENTIFIER, de se sentir, d’avoir des complicités, ENTRE ELLES.

DE SE SAVOIR, EN SOMME, UNE COLLECTIVITE. Ce sentiment de COLLECTIF, aussi DECHIRE, ténu, faussé, souvent névrotique soit‑il, PERMET UNE FORCE DE RESISTANCE contre les assauts de l’oppression. C’EST UN REFUGE. En effet, le GHETTO N’EST PAS QUE DESTRUCTEUR, bien que produit du RACISMIE‑SEXISME HETERO. IL A LE MERITE DE RASSEMBLER DES FEMMES PARTOUT AILLEURS TRAGIQUEMENT SEPAREES, ISOLEES.

Les Mouvements de Libération des femmes, dont le principe révolutionnaire de base est LA NON‑MIXITE, se sont aussi donné les moyens d’accéder à un sentiment COLLECTIF par DES LIEUX COLLECTIFS, pour se construire efficacement une IDENTITÉ. Mais leurs perspectives sont REVOLUTIONNAIRES, féministes (c’est‑à‑dire, englobant TOUTES les femmes). Ce qui n’est pas le cas du ghetto lesbien toujours enfermé dans une SINGULARITÉ, une SEGREGATION. Et dont les lieux collectifs ne sont pas LEXPRESSION DE VOLONTÉS EN LUTTE POUR LEUR LIBÉRATION, MAIS LES LIEUX D’EXPLOITATION D’UNE MISERE ENTRETENUE.

Ni l’homosexualité ni la bi‑sexualité (ni le prolétariat) NE SONT REVOLUTIONNAIRES, EN SOI. Elles peuvent se vivre sur le modèle de la sexualité dominante. Mais, l’une et l’autre contiennent en germes des POSSIBIILITES D’AUTRE CHOSE, d’un autre monde, d’une autre vie. (C’est pourquoi elles sont opprimées). L’importance des homosexuelles, c’est ce que leur "SOUS‑CULTURE" contient en germes de REVOLUTIONNAIRE pour une CULTURE DES FEMMES à venir. La signification politique de LEUR sexualité NON‑REPRODUCTRICE, pour LE PLAISIR, la menace de RUPTURE RADICALE d’avec l’oppresseur mâle sont déjà des éléments sûrs, d’une importance révolutionnaire capitale. Car même si LA RUPTURE RADICALE ne peut qu’être UTOPIQUE concernant l’ensemble des femmes, sa réalisation très possible par un grand nombre de femmes fait déjà trembler.
Enfin autres éléments de germes révolutionnaires, toutes les attitudes d’indépendances et de transgressions par rapport aux lois de la "FEMINITE" formulées par les hommes. De même, le fait qu’une identification aux hommes, comme aux femmes, leur soit pareillement IMPOSSIBLE et INSUPPORTABLE, fait que les lesbiennes plus que toutes autres vivent en permanence en conflit avec les rôles féminins‑masculins.

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