Texte 1b

vendredi 2 mars 2012
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Réponse des lesbiennes à leurs frères homosexuels

in : FHAR, Rapport contre la normalité, Paris, Champ Libre, septembre 1971, pp. 80-82

Hommes,

vous dont le nom désigne à la fois le mâle et l’espèce,

vous qui réinventez sans cesse le pouvoir,

pourquoi faut‑il que votre langage évoque à chaque instant la domination et la violence ?...

Si vous dénoncez la phallocratie oppressive des (soi-disant) hétéros, pourquoi parler de leur faire "desserrer les fesses", de les sodomiser, physiquement ou psychologiquement ?

Certes, il est équitable et nécessaire de montrer que l’homosexualité se trouve en chacun. Pour cela, est‑il indispensable, parce qu’on est un homme, de ne s’adresser implicitement qu’aux hommes ?

C’est que partout et toujours l’homme est le seul système de référence, le seul interlocuteur valable, celui dont on jalouse obscurément le pouvoir ! Le pénis symbolise tour à tour le sceptre et la matraque. Tout cela, quel intérêt pour les femmes ? Aucun.

Dans la société bourgeoise et patriarcale, le sexe, c’est le pénis, cette épée dont nous sommes le fourreau. L’homosexualité ? C’est la pratique sexuelle de l’homme ‑ puisque nous, femmes, nous n’avons pas de sexe, seulement un trou !

Se déphallocratiser, ce serait pourtant atteindre une telle capacité d’amour qu’il deviendrait impossible de soupeser le pénis, le vagin ou le cul de son partenaire afin de se convaincre soi‑même de cette supériorité illusoire qui cache tant de peurs.

Nous, lesbiennes, nous voulons parler de notre amour, car nous en avons assez de voir l’homme étaler le sexe et lui seul. En lui‑même, notre plaisir ne se réfère à aucune image de puissance, d’oppression. Nous voulons vivre, et pour cela nous violerons les cœurs et les bonnes consciences. Ensuite, les fesses viendront naturellement... Et ce ne sera pas un viol !

Pourquoi, puisque vous êtes homosexuels (comme nous !) vous adresser, en sus, exclusivement aux hétérosexuels ?

Pour réfuter leurs arguments ? Mais pourquoi cette justification ?

Ou alors parce qu’en tant que révolutionnaires vous voilà peut‑être amenés à discuter avec d’autres révolutionnaires, hétérosexuels, eux ? Et les révolutionnaires homosexuels ? Permettez‑nous de vous le dire : vous semblez les oublier ! Si nous avons affaire à un homosexuel de chez Renault, ce n’est pas en lui parlant ouvriérisme que nous l’atteindrons ; car tout le monde en fait avec lui. Mais c’est en lui parlant homosexualité, car ça, personne ne le fait !

De plus, regardez‑les, ces autres « révolutionnaires " ! Tous rivalisent de bureaucratisme, de stalinisme. Si nous sommes vraiment, nous, des révolutionnaires, autant rompre avec cette conception de la révolution qui préfère jouter verbalement avec l’ennemi que de connaître objectivement le vécu. Nous devons dépasser une bonne fois pour toutes cet esprit‑là, autant que l’esprit révolutionnaire a dépassé le réformisme.

L’abstrait, le théorique, sont mâles et réactionnaires. C’est grâce à eux que le phallocratisme a assis sa puissance sur le monde.

Nous, les femmes, nous sommes concrètes et nous partons du vécu. L’abstraction, ras le bol. Puisque nous sommes une masse, nous sommes une Réalité. "Woman is people !" L’automation a complètement bouleversé la notion marxiste classique du prolétariat. Prenez cet exemple, une poignée d’hommes faisant marcher une usine de roulement à billes (techniciens supérieurs et ingénieurs) et demandez-vous : Où est le prolétariat ? C’est l’armée des ménagères. C’est le Continent Noir. C’est l’éternel Tiers‑Monde : le peuple des femmes.

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