La visibilité lesbienne au niveau international

mardi 4 septembre 2012
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La visibilité lesbienne au niveau international

Joke SWIEBEL [1]

Mesdames, Messieurs,

Je vous propose de me suivre à Pékin où il y a douze ans, en 1995, j’ai participé à un événement, qui était un point culminant de la visibilité lesbienne au niveau international : la Quatrième Conférence Mondiale sur les Femmes, organisée par l’ONU.

J’étais alors fonctionnaire du gouvernement de La Haye, responsable des droits des femmes et, en tant que telle membre de la délégation des Pays-Bas à la Conférence de Pékin.

Comme quelques-unes parmi vous peut-être se souviennent, la Conférence de Pékin a rendu les femmes lesbiennes visibles à deux niveaux :

  • Au Forum des ONG à Huairou, à 50 kilomètres en dehors de Pékin, on a construit la tente lesbienne (‘the lesbian tent’ ) comme centre d’accueil et lieu de discussions pour beaucoup de lesbiennes de toutes les parties du monde. On a organisé des réunions, des manifestations, et cetera. En un mot, on ne pouvait pas échapper à la visibilité lesbienne.
  • A la conférence propre, les délégués gouvernementaux ont été forcés de prendre position vis-à-vis de quelques paragraphes (dans le projet des conclusions de la conférence) dans lesquelles figurait l’expression ‘orientation sexuelle’, une expression utilisée pour souligner la discrimination double des femmes lesbiennes. Cette expression était contestée et pour cette raison on l’a mise entre parenthèses.

C’était une brèche dans le mur de silence

Alors, on connaît le résultat. D’un point de vue social, cette visibilité internationale des lesbiennes a été couronnée de succès. C’était une brèche dans le mur de silence. Mais, au niveau politique, on n’a pas réussi à faire figurer dans le document formel de conclusions, la Platform for Action, l’existence des femmes lesbiennes. Elles n’existaient plus. Ces ‘faux mots’, orientation sexuelle, ont été biffés. Au niveau politique, une majorité de délégations gouvernementales a préféré repousser le lesbianisme dans l’ombre.

Pour être complet, il faut ajouter que la Conférence a adopté un texte plus général sur les droit sexuels – le fameux paragraphe 96, disant : "Les droits fondamentaux des femmes comprennent le droit d’être maîtresses de leur sexualité […] sans aucune contrainte, discrimination ou violence et de prendre librement […] des décisions dans ce domaine". Il faut noter que les délégations de l’Union Européenne et celles de beaucoup d’autres pays occidentaux ont déclaré que pour elles ces phrases comprennent aussi le droit d’être protégées des contraintes, discriminations ou violences fondées sur l’orientation sexuelle. Mais cette vision n’a pas obtenu le consensus qui est nécessaire à ce type de conférence mondiale.

Cette action à Pékin a été menée de paire par le mouvement féministe et le mouvement lesbien. Heureusement, il a été souvent difficile de distinguer l’un de l’autre. Mais il est remarquable que le mouvement gay –ou le mouvement LGBT– ne s’est pas engagé dans ces activités. Il est vrai que l’ILGA –The International Lesbian and Gay Association– en ce temps-là était absorbé par son combat pour l’accréditation à l’ONU (le statut consultatif), qui lui avait été refusé deux fois pendant les années précédentes.

On peut croire que la lutte pour une visibilité des lesbiennes sur le plan international a plus de choses en commun avec le mouvement féministe qu’avec le mouvement gay. Je ne partage pas cette opinion. Je m’explique :

Une partie considérable des revendications politiques du mouvement lesbien recoupe les revendications du mouvement féministe :

  • rattraper les retards et lutter contre les discriminations des femmes ;
  • garantir notre droit de contrôler nos propres corps et de choisir comment nous voulons vivre nos propres vies ;
  • l’indépendance économique ;
  • équilibrer la représentation hommes-femmes dans la vie politique.
  • mais pour une autre partie considérable, et peut-être plus importante, les revendications lesbiennes sont identiques aux revendications du mouvement gay :
  • combattre l‘homophobie (ou la lesbophobie) ;
  • s’opposer aux discriminations sur la base de l’orientation sexuelle ; exposer et agir contre l’hétéro-normativité incorporée dans les lois et les pratiques quotidiennes.

L’homophobie et l’hétéro-normativité sont des obstacles tenaces. Il faut signaler un développement qui semble contradictoire : plus de tolérance, plus de visibilité, mais par conséquent aussi plus d’aversion, plus de réactions négatives… et pire : discrimination, exclusion et violence.

Depuis les années soixante du siècle passé, les femmes lesbiennes comme femmes -ou, si vous voulez, comme toutes les femmes- ont fait beaucoup de progrès

La position de la femme s’est améliorée énormément –à tout point de vue dans notre coin du monde. Mais ce progrès n’a pas éliminé la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et l’homophobie. Au contraire. C’est pour cela que ce n’est pas par hasard que -après la Conférence de Pékin- la lutte des femmes lesbiennes pour la visibilité sur le plan politique international est devenue une lutte commune avec le mouvement gay.

A ce stade, il faut reconnaître l’importance du rôle joué par l’Union Européenne. En 1997, le Sommet d’Amsterdam a ajouté le fameux article 13 au Traité de la Communauté Européenne. Cet article a attribué à la Communauté Européenne la compétence de prendre des mesures contre les discriminations sur le base de –entre autres– l’orientation sexuelle. C’était le résultat d’un lobby de l’ILGA : le groupe britannique Stonewall et autres groupes nationaux de gays, soutenus par un groupe des Membres au Parlement Européen. Sur cette base, le Conseil de l’UE a adopté la Directive 2000/78/CE, pour prohiber toute discrimination basé sur –entre autres- l’orientation sexuelle en matière d’emploi et au travail. Cette loi est maintenant en vigueur dans les 27 États Membres de l’UE. Les États Membres sont obligés de transposer et d’intégrer cette Directive dans leurs législations nationales.

Ce n’est pas l’endroit ici d’exposer les finesses juridiques de cette Directive et sa mise en œuvre au niveau national. Ce qui est important dans le contexte de notre discours sur la visibilité lesbienne, c’est son implication politique. C’était la première fois, qu’une organisation internationale reconnaissait le droit des femmes lesbiennes et des hommes gays de choisir comment ils voulaient vivre leurs propres vies. Cette Directive est le joyau de notre couronne. En dehors de son application pratique pour redresser les cas de discriminations individuelles, cette Directive est invoquée dans tous les débats sur les cas d’homophobie, de discrimination et de suppression de liberté d’expression, comme, par exemple, dans un débat récent au Parlement Européen à la fin du mois Avril.

L’Union Européenne et ses États Membres sont tenus par cette Directive –la morale n’est une excuse pour aucune discrimination envers les femmes lesbiennes ou les hommes gays.

Mesdames et Messieurs, moi je ne suis ni crédule, ni naïve. Je ne crois pas qu’on nous donne nos droits pour la beauté des mots. Il nous reste beaucoup à faire.

Mais nos interlocuteurs et nos adversaires en Europe ont déjà reconnu notre existence et notre visibilité ; ils ne peuvent pas refuser de souligner la valeur de l’égalité des droits humains. Cela nous donne un avantage dans notre lutte politique –un avantage qui n’existe pas– par exemple – pour les lesbiennes et les gays en Iran ou en Chine. Pour dire vrai, dans l’Union Européenne nous pouvons compter cela comme une chance…..Voici une considération dont il faudra se rappeler, une prochaine fois, que l’on vous demandera votre opinion sur l’Union Européenne !

La visibilité lesbienne au niveau politique international –c’est une ‘invention’ de l’UE. A ce propos, c’est aussi l‘Europe qui avait introduit les phrases sur l’orientation sexuelle qui ont été contestées et après biffées à Pékin. Combattre les discriminations sur la base de l’orientation sexuelle fait partie de ce qu’on appelle l’acquis communautaire. Ce fait a contribué énormément à la confiance et à la portée sociale en politique du mouvement gay et lesbien en Europe, surtout dans les nouveaux États membres de l’UE en Europe centrale.

On aurait pu espérer –après la bataille perdue à Pékin– que ce serait l’Europe qui de nouveau partirait en guerre pour que les Nations Unies mettent les droits humains des gays et des lesbiennes à l’ordre du jour. Non, ce n’est pas l’Europe, c’est le Brésil !

Le Brésil a un nouveau président progressiste, M. Lula. Il a introduit en 2003 le projet d’une résolution sur « les droits humains et l’orientation sexuelle » à la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU. Pendant trois sessions annuelles successives, cette Commission a refusé de prendre position sur cette résolution. Une coalition conservatrice -surtout des pays catholiques et islamistes- a pu l’empêcher. Néanmoins, cette initiative brésilienne a offert aux ONGs –les organisations non-gouvernementales- beaucoup de possibilités pour plaider leur cause. Dernièrement à Genève, une autre tribune a permis une visibilité importante pour les lesbiennes dans un cadre politique international. Et cette fois, il y avait aussi des femmes lesbiennes d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud qui ont été porte-parole.

A ce stade, on a aussi choisi un dénominateur nouveau : on parle désormais des droits LGBT (lesbienne, gays, bisexuel et trans-genre) pour souligner la cause commune dans la lutte contre la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et sur la base de l’identité de genre.

Les Nations Unies ont, jusqu’à ce jour, été incapables de reconnaître que les droits des LGBT sont des droits humains et ainsi, de les incorporer dans leurs travaux en ce domaine.

Certaines clauses des traités et certains des rapporteurs spéciaux de l’ONU ont pris nos droits en perspective. Mais les organismes intergouvernementaux de l’ONU sont restés jusqu’ici fermés à nos demandes.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’initiative des organisateurs des 1er Outgames Mondiaux à Montréal en 2006, d’incorporer dans ce cadre sportif une grande Conférence Internationale sur les Droits Humains des LGBT. L’un des buts principaux de cette Conférence était de mettre en relief la question des droits humains des LGBT aux Nations Unies et dans toutes les autres organisations internationales et de démontrer aux gouvernements nationaux qu’ils doivent prendre au sérieux la question des droits humains des LGBT. Je me permets de dire que cette Conférence, dont j’étais une des deux Co-Présidents, a été une apogée dans la lutte pour la visibilité internationale des gays et des lesbiennes. Les 1500 participants –parmi lesquels 40 % de femmes– étaient venus de tous les pays du monde. Les 200 ateliers et les sept séances plénières ont traité une multitude de sujets : de la maternité des lesbiennes jusqu’aux rôles des politiciens ouvertement LGBT, de la situation des gays au Sénégal jusqu’à la vie des lesbiennes au Japon.

A mon avis, le discours le plus important a été celui de Madame Louise Arbour, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme. C’était la première fois qu’un haut fonctionnaire de l’ONU disait clairement que les lois qui pénalisent les relations sexuelles entre des personnes adultes et consentantes de même sexe (comme c’est le cas dans plus de 80 pays dans le monde) violent les normes internationales des droits humains. Madame Arbour a souligné aussi que les Etats ont une obligation légale de rechercher et poursuivre tous les cas d’abus et de violence contres les personnes LGBT.

La Conférence a approuvé la Déclaration de Montréal –un aperçu des tentatives de revendications du mouvement international des LGBT, formulées en tant que droits humains.

Cette Déclaration de Montréal avait été présentée aux Nations Unies et aux autres organisations internationales afin de mobiliser plus de soutiens pour le respect des droits LGBT. Les ONG peuvent utiliser cette Déclaration comme instrument dans leurs propres campagnes politiques. Exposer ici tous les thèmes contenus dans la Déclaration de Montréal prendrait trop de temps. On peut trouver la Déclaration dans la pochette qui vous a été remise et sur Internet. Ici je voudrais simplement souligner le passage sur les buts communs du mouvement LGBT et du mouvement des femmes.

« Notre but commun », dit la Déclaration, « consiste à casser la rigidité fixée dans les rôles alloués aux femmes et aux hommes, ainsi que l’oppression par des normes établies dans l’intérêt des mâles hétérosexuels. Ces convergences avec le mouvement féministe ne sont pas marginales, mais font partie du cœur même de la lutte du mouvement en faveur des droits humains des LGBT » .

Pour être bref, la Conférence de Montréal a été une autre plate-forme pour la visibilité lesbienne internationale – ne visibilité quantitative, par le taux de participation des femmes relativement haut, et une visibilité qualitative, grâce à des notions féministes qui ont inspiré une certaine partie des travaux de la Conférence.

Pour celles qui sont très intéressées par les droits de l’homme internationaux – u, pour le dire de façon politiquement correct : des droits humains je voudrais signaler un supplément juridique à la Conférence de Montréal : les Principes de Yogjakarta, c’est le titre d’un document élaboré par un groupe d’experts réuni à Yogjakarta en Indonésie en Novembre 2006. Ces experts ont fait un exercice instructif. Ils n’ont pas inventé de nouveaux droits, mais ils ont simplement appliqué les normes de droit international des droits de l’homme – contenus dans plusieurs traités internationaux contraignants – en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre. Ils ont transposé le slogan « les droits des LGBT sont des droits humains » en composant une liste de vingt pages formulées dans un langage juridique.

En ce qui concerne les lesbiennes, on a vu encore une fois –comme à Montréal- une approche intégrale des droits des hommes homosexuels et des femmes lesbiennes et une coopération hommes-femmes à peu près paritaire. A mon avis, cette stratégie a produit des résultats plus effectifs comparés aux résultats d’une stratégie séparatiste. Mais naturellement, ça dépend de notre point de départ ….

Mesdames et Messieurs, jusqu’ici je n’ai pas encore parlé des aspects plus pratiques et personnels de la visibilité lesbienne pendant les réunions internationales. Pour moi, c’était simple, la visibilité n’a pas été mon problème.

Je n’ai jamais explicité ma préférence sexuelle. Pendant mes activités internationales, c’était soit superflu –parce que tout le monde le savait déjà– soit non pertinent – parce que personne ne s’occupait de ce sujet. A mon avis, la visibilité politique des lesbiennes est la plus importante.

Au niveau international ça suppose que les lesbiennes participent également aux activités pertinentes et que des revendications lesbiennes soient formulées d’une façon qui favorise leur acceptation.

Je pense qu’en ce sens la visibilité lesbienne internationale a fait énormément de progrès –malgré une augmentation de l’homophobie. Il faut que nous reconnaissions cet acquis, mais néanmoins poursuivions notre lutte.

Je vous remercie de votre attention.


[1Ancienne députée au Parlement Européen – Présidente de la commission LGBT au Parlement Européen ; Co-présidente de la Conférence Internationale sur les droits humains LGBT à Montréal (Juillet 2006).


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